Le “lulz” perdu des Anonymous

Le 29 février 2012

Au secours, ils sont devenus fous, s'écrie Sabine Blanc, journaliste qui suit avec amour les communautés de hackers chez OWNI. Une partie des Anonymous français s'est exprimée récemment dans le cadre d'une conférence de presse. Un procédé de communication hyper convenu et en contradiction avec l'essence du mouvement. Tribune.

Ce mercredi, Le Mouv organise une journée spéciale Anonymous, en partenariat avec OWNI, pour tenter de mieux comprendre ce mouvement aux contours par essence mouvants. Pour suivre depuis quelques temps déjà les Anons avec un oeil attentif, je pensais avoir les idées claires sur le sujet. Jusqu’à la récente opération communication d’une partie des Anons français, qui m’a laissée perplexe.

Historiquement, les Anonymous ont le lulz dans l’ADN, cet humour potache parfois aux limites du bon goût, comme l’a théorisé l’anthropologue spécialiste ès Anonymous Biella Coleman. Votre berceau, rappelle-t-elle, ce sont les bas-onds féconds du bazar Internet, le fameux forum 4chan et son infréquentable board /b/.

Féconds parce qu’ils ont donné naissance à un mouvement politique qui enquiquine bien les gens tout en haut qui voudrait que l’Internet ressemble à une cathédrale, pour reprendre la célèbre métaphore de Eric S Raymond, toutes ces majors attachées au droit d’auteur comme l’arapette à son rocher, ces dictateurs qui filtrent le Net pour mieux opprimer leur peuple, voire ces démocraties à la botte desdites majors. Vous incarnez la nouvelle génération de hackers, comme le raconte la chercheuse Danah Boyd, celle qui détourne l’attention médiatique, enjeu crucial dans notre société de l’information.

Conférence de presse dans les locaux d'Owni via chat IRC le vendredi 24 février 2012 avec Pierre Breteau (France Info), Pierre Alonso (Owni), Amaëlle Guiton (Le Mouv'), Antonin Chilot (Le Parisien)

Le problème, ces derniers temps, chers initiateurs de cet opé com’, c’est que le lulz, c’est vous qui le provoquez, justement par manque de lulz. Naguère, nous avions ce genre d’échanges pour moquer nos confrères du type “employé par un grand média national” qui avaient du mal la nature fluctuante du mouvement et nous demandaient un contact (ce qui suit est un authentique copié collé de mails) :

- Nous sommes invités à choisir pour la production une personne issue des Indignés (Occupy la défense ?) et une autre en relation éventuelle avec des vrais Anonymous (genre Kheops ?) pour apporter un témoignage lors de l’émission.

- J’ai le mail de l’attaché de presse des anonymous si ça vous intéresse, ils sont chez Ogilvy.

Et voilà t’y pas que quelqu’un qui se présente en plaisantant comme “l’attaché de presse des Anonymous France” nous contacte. Mais dans les faits, c’est bien comme un attaché de presse qu’il va se comporter, en relayant les demandes plutôt exigeantes du groupe d’Anonymous.
Structurer, qu’il disait. Cinq rédactions triées sur le volet (Le Mouv’, Le Parisien, France Info, la boite de production Code 5 Production, et OWNI), réunis dans nos locaux, et des échanges interminables, tout ça pour une poignée de questions. Franchement, on dirait Sarko s’exprimant à la télévision. Je cite :

“Le protocole était défini plusieurs jours à l’avance. Sur un canal de discussion en temps réel sécurisé (un canal IRC) était réunis cinq journalistes et un coordinateur. Sur un autre canal, les Anonymous français.” [...]

“Début février, un mail est envoyé à un journaliste d’OWNI depuis une étonnante adresse sur yahoo.fr, un service pas vraiment réputé pour être très sécurisé. Contacts pris, il ne s’agit pas d’un faux, mais de l’adresse qu’utilise le fameux coordinateur. Lors du premier échange par téléphone, lundi 13 février, il raconte avoir découvert le collectif après l’affaire MégaUpload. Curieux, il est allé à la découverte du collectif en trainant sur les canaux de discussions. “L’attaché de presse des Anonymous”, comme il se décrit avant de partir dans un éclat de rire, a proposé d’aider les membres francophones à structurer leur prise de parole.”

Amaëlle Guiton (Le Mouv) et Pierre Alonso (Owni) pendant la conférence de presse dans les locaux d'Owni via chat IRC le vendredi 24 février 2012

Alors j’ai prétexté que la vie était brève, a fortiori quand on habite à côté d’une antenne-relais et qu’on roule à vélo comme moi, pour refuser de jouer ce petit jeu. Où est passée l’auto-dérision qui faisait votre charme ? Le poisson insaisissable, si jouissif dans notre époque obsédée par le classement, les petites croix dans les tableaux, les étiquettes et autres passeports biométriques ? Là vous vous présentez en banc consensuel. Vous rentrez dans le rang, vous rentrez dans la cour des grands médiatiques de ce monde :

Le mouvement gagnant en ampleur, celui-ci veut naturellement gagner en visibilité et se séparer de son image principale de hackers.

Se séparer de son image de hackers, alors que les hackers font partie des rares sources d’espérance politique avec vos cousins des mouvements Occupy ?

En un mot comme en cent, chers Anonymous-français-qui-vous-exprimez-d’une-voix, vous devenez aussi ennuyeux qu’un homme politique de base, soucieux de régler sa comm’ comme de la ligne de code. Vous vous en tirez d’ailleurs très bien, il n’y a pas un poil qui dépasse. À ce rythme-là, à la prochaine présidentielle, on vous retrouvera à la tête du volet numérique d’un candidat.


Photos par Ophelia Noor pour Owni /-)
illustration #operationpaperstorm/anonymous

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