Débat de l’eau, si laid?

Le 8 juillet 2011

Soulevée en Italie, la question de la gestion publique de l'eau commence à se poser... mais sans les citoyens. Et ce malgré les scandales sanitaires et prix injustifiables qui caractérisent un secteur plus que lucratif.

En se saisissant de la possibilité constitutionnelle d’un référendum, les citoyens italiens ont remis en cause une privatisation à marche forcée de l’eau en Italie. Membre du Comité référendaire pour l’Eau bien commun et d’Attac Italie, Raphaël Pepe raconte comment cette mobilisation a été possible.

Dans un pays où la démocratie est continuellement piétinée, un pays où les médias conditionnent la politique depuis plus de 20 ans, dans un pays où le processus de privatisation des biens communs ne connait aucun frein, nous avons réussi à nous réapproprier nos droits en disant non à la marchandisation de l’eau et aux politiques néo-libérales et en disant oui à une démocratie participative et à la défense des biens communs.

Ce référendum populaire est né de l’initiative des Comités citoyens pour l’eau publique de toute l’Italie, qui depuis 2006 sont coordonnés par le Forum Italien des Mouvements pour l’Eau Publique. Déjà en 2007, ce réseau de comités avait recueilli plus de 400.000 signatures pour proposer une loi d’initiative populaire malheureusement jamais discutée au Parlement.

Une privatisation légale à 40% des régies d’eau

Fin 2009, le gouvernement Berlusconi approuvait le décret Ronchi qui obligeait les institutions locales à transformer toutes les sociétés qui géraient le Service de distribution de l’eau en S.P.A mixtes et à organiser des appels d’offre pour attribuer au moins 40% des actions à des entreprises privées dans chacune de ces sociétés.

Prenant acte de cette situation, nous avons décidé de proposer un référendum populaire pour l’abrogation des lois qui imposaient la privatisation et d’autres normes qui prévoyaient un minimum de 7% de profits dans les SPA pour la rémunération du capital investi (art.154 du décret environnemental fait par le gouvernement Prodi en 2006).

La Constitution italienne prévoit que pour proposer un référendum abrogatif, il est nécessaire de recueillir 500.000 signatures. Alors dans chaque région, chaque province, chaque ville, des comités de citoyens se sont organisés pour récolter ces signatures. En moins de 3 mois, nous avons recueilli 1,4 millions de signatures. Nous entrions déjà dans l’histoire sans qu’aucun journal ne prenne acte de ce grand résultat.

Dès janvier de cette année, nous avons repris la mobilisation pour nous préparer à la campagne. En mars, nous avons fait une manifestation nationale qui a vu la participation de près de 500.000 personnes à Rome, et nous avons su la date du référendum : 12 et 13 juin !

Informer dans la rue, dans les écoles, dans des réunions publiques

Le gouvernement choisissait d’envoyer les Italiens aux urnes, à un moment de l’année où historiquement l’affluence est toujours basse en Italie. La raison était simple, en Italie pour qu’un référendum soit validé, il faut un quorum de 50% de participation.

La solution la plus simple aurait été de faire le référendum en même temps que les élections municipales de mai, mais cela aurait signifié une plus grande facilité à atteindre le quorum. Début juin, la campagne officielle devait commencer, mais la télévision publique, la RAI n’avait pas l’intention de respecter les normes prévues pour une campagne électorale.

L'affiche de campagne "OUI à l'eau publique / référendum des 12 et 13 juin"

Jusqu’au référendum, l’information a été dérisoire. C’est dans les rues, dans les écoles, dans les universités, en participant à tout les événements publics, en organisant des conférences, des débats, des forums, des fêtes que nous avons fait cette campagne sans jamais attirer l’attention des grands médias qui pendant ce temps préféraient s’intéresser à toutes autres choses.

Nous n’avions aucun doute sur le résultat du vote, le plus dur n’était pas de convaincre les gens de voter OUI pour l’eau publique, mais de les informer qu’il y avait un référendum et de faire en sorte qu’ils aillent voter.

Reprendre contrôle de la démocratie en commençant par ses canalisations !

En Italie, nous votons le dimanche et le lundi jusque 15h ! La fête a commencé bien avant le dépouillement, parce que nous n’avions aucun doute sur le résultat final. À 15h, nous avons enfin su que 57 % des Italiens avaient voté ! Ce n’était pas arrivé à un référendum depuis 1995.

Nous avons écrit une belle page d’histoire. Le détail des votes n’était ensuite qu’une formalité, parce que nous le connaissions déjà, au plus profond de nous tous : 95% des votants se sont exprimés pour l’eau publique et contre les profits sur ce bien commun !

Le 13 juin, de nombreux partis ont cherché à s’attribuer une victoire qui est celle du peuple. On parle beaucoup de la défaite de Berlusconi, mais ce sont les politiques néo-libérales et les grandes multinationales qui ont été battues !

Une nouvelle ère commence dans ce pays.

Ce que nous répétons depuis le début de cette campagne s’est avéré : « ça s’écrit EAU, mais ça se lit démocratie »

Article publié initialement sur Bastamag sous le titre Eau : comment les Italiens ont dit non à sa marchandisation.

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