Neutralité: le Sénat la joue soft

Le 24 février 2011

Alors que l'Assemblée s'empare tout juste du problème, le Sénat vient de rendre un rapport d'information sur la neutralité du net, déclinée en version ultra-allégée.

Organisée en novembre dernier, la table ronde du Sénat sur la neutralité “des contenus et des réseaux” vient de faire l’objet d’un rapport d’information; l’occasion de revenir sur les thématiques abordées – en particulier les téléviseurs connectés-, mais aussi de faire un point, en ces temps d’agitation parlementaire, sur la conception toute particulière que les sénateurs Pierre Hérisson (UMP), Catherine Morin-Desailly (UC) et Bruno Retailleau (NI), en charge de la réflexion, proposent pour le concept de neutralité.

En dehors de la distinction surprenante opérée entre les contenus et les réseaux (voir Neutralité: le Sénat place les contenus au cÅ“ur des débats), on peut ainsi noter que la distorsion de la neutralité des réseaux n’est plus présentée comme une éventualité, mais comme une évidence. En introduction aux travaux, Pierre Hérisson précise en effet que:

l’accroissement en bande passante pour les “usages innovants”, tels que la vidéo à la demande, remet en cause ce principe fondateur de liberté. Même si les cas sont rarissimes, il incite ou incitera en effet certains acteurs à restreindre ou à prioriser l’accès au réseau, en vue d’éviter son engorgement.

D’emblée, la saturation des réseaux par les usages est posée comme postulat, alors même que beaucoup s’accordent à dire qu’aucune étude indépendante n’a réellement été menée sur le sujet, quand d’autres y voient l’Å“uvre de mauvaises Cassandre.

Par ailleurs, le filtrage de certains contenus, institué notamment par les lois Création et Internet (aka Hadopi) et Loppsi, est jugé compatible avec la définition d’une neutralité des réseaux; plus encore, un Internet “neutre” doit s’adapter à cette mesure, présentée comme un impératif. Dans ce sens, Catherine Morin-Desailly avance :

[...] L’Internet apparaît en effet comme un “eldorado” de la nouveauté et on ne peut que l’encourager. Mais parallèlement, comme on l’a vu lors de la discussion sur la création d’Hadopi, des règles doivent aussi s’appliquer sur Internet, de protection des droits d’auteur mais aussi de protection de la jeunesse ou d’ordre public.

[...]

Un point d’équilibre entre la neutralité du Net et une certaine vision de la politique culturelle ou encore entre des mesures de protection de l’ordre public et l’exercice de droits fondamentaux devra donc être déterminé.

Exit donc la définition “stricte” de la neutralité des réseaux, les sénateurs lui préférant une version plus soft et accommodante, adaptée à la préservation de certains intérêts, et qualifiée de “quasi-neutralité” par les plus fervents défenseurs du principe, FDN en tête. Pour son président Benjamin Bayart, cantonner la neutralité aux seuls contenus licites revient en effet à un non sens, dans la mesure où définir sa licéité amène nécessairement à scruter le réseau, à l’orienter, et de fait… à nier son caractère neutre, nullement affecté par le choix d’une autorité ou d’un fournisseur d’accès:

[...] On parlerait de neutralité pour les contenus licites. [...] Ce qui revient à supposer que le réseau est capable, en regardant un paquet IP, de décider de la licéité du contenu, et, ayant à coup sûr reconnu un contenu illicite, il peut décider d’en faire n’importe quoi. Ce qui revient à supposer que le réseau n’est pas neutre du tout, et analyse très en profondeur tout ce qu’il voit pour décider de ce qu’il fait.

Reste à déterminer la résonance de cette version allégée de la neutralité des réseaux au sein de la majorité parlementaire. Le compte rendu du Sénat tombe en tout cas à point nommé, venant alimenter les multiples consultations déjà menées sur le sujet, au sein de la Commission Européenne, de l’Arcep, ou bien encore du côté de la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, dont la synthèse est attendue fin mars.


Illustration CC FlickR: Augustin Rouchon

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