OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Lazarus saisit les doutes http://owni.fr/2012/06/01/lazarus-saisit-les-doutes/ http://owni.fr/2012/06/01/lazarus-saisit-les-doutes/#comments Thu, 31 May 2012 22:29:41 +0000 Julien Goetz http://owni.fr/?p=111703

Dès la séquence d’introduction sur le site de ce web-documentaire, Lazarus-Mirages, le doute s’impose. Comment prendre au sérieux ce personnage masqué parlant une langue aux accents d’Europe de l’Est qui nous annonce solennellement, sur fond de Beethoven :

Mon nom est Lazarus et je fais voeu de marcher vers la lumière. Que le doute nous libère et que la raison nous serve de guide.

La production du projet nous avait proposé une interview directement avec ledit Lazarus, que nous avons choisi de ne pas faire. Chacun sa place, nous préférons discuter avec le marionnettiste qu’avec sa créature.

Dans ce web-documentaire, la forme est tranchée, entière. Certains la trouveront omniprésente, effaçant le propos du documentaire. Pour Patric Jean, son producteur, cette esthétique si prégnante est en totale adéquation avec le sujet et le fond du propos.

L’idée était de jouer sur les codes opposés à ce que l’on voulait raconter. Si on parle de la raison, de la pensée sceptique, on devrait logiquement aller vers quelque chose de lumineux, de transparent, avec des gens qui parlent rationnellement. Je me suis dit que ce serait intéressant de faire le contraire, d’utiliser les codes du mystère, du bizarre, du complot.

Alors certes, la forme brouille le message mais surtout elle affirme “tout message est brouillé à partir du moment où vous ne l’avez pas vraiment contextualisé, analysé, décrypté. Tant que n’avez pas fait ce travail, un message, quel qu’il soit, considérez-le comme brouillé.”

Derrière son masque, son smoking, son nom improbable, derrière cette stylisation totale, c’est comme si ce personnage glissait à celui qui l’écoute : “Ne croyez pas ce que je vous raconte, mais ne croyez pas non plus ce que les autres vous racontent.” Tout en permettant à celui qu’il guide d’enchaîner les séquences académiques et les entretiens avec des scientifiques sur des dizaines de croyances plus ou moins ancrées. Au final, un web-documentaire très pédagogique qui ne dit pas son nom au premier abord.

Lazarus sème le doute...

Le doute est d’ailleurs tout autant présent dans la narration du projet que nous en fait Patric Jean que dans le projet final. Tout commence, semble-t-il, par un appel, reçu il y a près de quatre ans.

Je voudrais vous proposer de financer l’écriture d’un film sur la question de la pensée sceptique.

Le producteur, lui-même passionné par la thématique du (ou des) “faux”, est tout de suite piqué au vif par la proposition qui lui est faite. D’autant que son interlocuteur semble être un joueur. Il pose une condition unique au financement du projet : rester anonyme, quoiqu’il arrive.

Je me dis “pourquoi pas” mais au fil de la conversation, je comprends qu’il veut rester anonyme de moi aussi. Là, ça devient plus étonnant.

Dans un premier temps, les échanges se font donc par mail, histoire de tâter le terrain et d’appréhender le doute, de s’habituer la rétine et les neurones à l’oscurité qui entoure ce personnage-contact.

J’ai bien senti que ce n’était pas un fou, que c’était quelqu’un de très cultivé, très intelligent, qui avait la tête bien sur les épaules mais il y avait quand même ce truc très étonnant de ne pas vouloir me dévoiler son identité. Forcément cela me titillait mais je lui ai dit que je ne pouvais pas travailler comme ça, dans le vide, il était important que l’on puisse se voir, même s’il ne me donnait pas son nom.

Il a accepté que l’on se rencontre mais je ne pourrais pas connaître son identité et je ne pourrais pas voir son visage. On a donc eu une première rencontre dans un hôtel à Bruxelles, il avait un masque en plastique, très cheap, il s’est excusé.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mais l’intérêt n’est peut-être pas dans cette partie de l’histoire. Comme le magicien attirant notre attention sur sa main gauche alors que tout se joue dans la droite, l’anonymat de cet étrange mécène n’est sans doute pas la réelle clé de compréhension du projet. Il permet surtout de créer un point de fixation et de bascule, déplaçant ainsi le regard documentaire que l’on pose habituellement sur les sujets traités. Astrologie, télépathie, différence garçons-filles, mais aussi des croyances plus sociales comme la démocratie ou le discours politique, l’horizon du décryptage est large et le questionnement peut se glisser partout.

L’idée c’est de voir comment on peut utiliser ces éléments-là pour parler d’une méthode, d’une grille de lecture, une grille d’analyse pour décrypter nos croyances, nos perceptions. C’est progressivement devenu une métaphore : si un présentateur de journal présentait le journal avec un masque et un nom bizarre (comme Lazarus) : personne ne le prendrait au sérieux. Or on voit son visage et on connaît son nom, et alors ?

Que sait-on des présentateurs du 20h ? Est-ce que l’on sait où ils ont fait leurs études, quels sont leurs réseaux, quels sont les gens qu’ils fréquentent, leurs opinions, leur orgine sociale, dans quel quartier ils vivent, la vision du monde qu’ils ont et toute la machine de production de l’information qu’il y a derrière ?

Contextualisons, donc. Issu d’une famille ouvrière, ayant suivi un cursus au Conservatoire Royal de Bruxelles avant d’étudier la philologie et de devenir professeur de français pour glisser ensuite vers des études de cinéma, Patric Jean construit là un raisonnement qui peut surprendre. Et de prime abord, avec notre propre conditionnement social, il résonne comme “complotiste”, non ? La réponse de Patric Jean.

Toute information est orientée volontairement ou involontairement. Mais quand c’est orienté de manière volontaire, c’est moins dangereux parce que c’est visible. Penser que l’on puisse produire une information, quelle qu’elle soit, sans qu’elle ne vienne d’un point de vue particulier, c’est ça le piège.

La presse n’est pas faite par des comploteurs, la plupart des journalistes ont vraiment envie d’informer mais ils sont néanmoins pris dans un système social, ils appartiennent à des groupes sociaux et ne regardent donc pas le monde de la même manière selon qu’ils soient hommes ou femmes, que leur orgine soit ouvrière ou qu’ils soient nés à Neuilly.

Simplement être conscient de ça, c’est se libérer d’un certain nombre de choses et c’est ce qui permet la pluralité en démocratie : être conscient du fonctionnement du système.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Plongeons dans la brèche et déroulons la pelote du raisonnement du producteur de Lazarus-Mirages, au premier degré. Cela voudrait donc dire que lorsque l’on lit un article, notre troisième œil est braqué en permanence sur google+wikipedia pour analyser-décrypter-questionner l’auteur et ses propos. Décidément, le doute est le leitmotiv de cette interview et il rebondit sur chaque idée posée.

Non, bien sûr. Ce que l’on invite à faire, c’est à suspendre la raison. On n’est pas obligé d’avoir un avis sur tout. On peut recevoir une information et se dire : “je la prends, ça a l’air sérieux, ça a l’air bien pensé, mais ce n’est pas forcément totalement solide”.

Par exemple sur le nucléaire, tout le monde a une opinion, le gens sont pour ou contre. Ce serait intéressant que dans la population il y ait des gens qui soient capables de dire “Je ne sais pas, je n’ai pas suffisamment d’éléments pour trancher et donc il serait utile que les médias, notamment ceux du service public, me donnent plus d’éléments pour trancher. Pas pour essayer de “me convaincre de”, juste des éléments qui parfois vont être contradictoires mais qui vont nourrir ma propre réflexion sur un tel sujet”.

Lazarus inviterait donc à appliquer un agnosticisme généralisé ?

D’une certaine manière oui. Apprendre à (se) dire à certains moments “Je ne sais pas”, ce n’est pas à la mode du tout. La télévision est remplie de gens qui s’expriment sur tous les sujets en tant qu’experts. Ils peuvent te parler d’éducation, de la guerre du Golfe ou de n’importe quoi.

On est à une époque où on peut croire que l’on a une expertise parce que l’on a lu un paragraphe sur un sujet et qu’on y a réfléchi 15 secondes. Or le monde est complexe et ce dont on a besoin c’est de complexité.

Le décorum déployé par Patric Jean et son équipe (35 à 40 personnes pour près de huit mois de production) est efficace : il marque et fait réagir. Le masque fait penser à celui de Guy Fawkes (repris par les Anonymous) ?

C’est un mélange de deux masques de commedia dell’arte créé par une graphiste, répond le producteur. La référence au masque de Vendetta ne nous pose aucun problème, tout comme celle aux mouvements Anonymous, au contraire, mais cette ressemblance n’était pas notre intention.

Le pseudo-russe sonne un peu comme du Nadsat sans avoir été soigneusement pensé par Anthony Burgess ? La raison est plus simple.

Il fallait masquer la voix de la personne. On avait essayé différentes méthodes pour la masquer, la truquer, mais ça ne marchait pas bien. Un réalisateur 3D, qui avait une petite amie roumaine, a dit “si il parlait une autre langue ?” On s’est dit pourquoi pas et on a choisi une langue d’Europe de l’Est justement pour évoquer ce côté mystérieux, la magie, on voit des choses mais ce n’est pas ce que l’on voit…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans la forme, Lazarus semble se prendre au sérieux mais, pour l’appréhender, il faut donc une bonne dose de second degré et ne pas hésiter à le plonger dans un bain de doutes. Le décalage fait partie de la démarche. Il se joue des symboles autant que des croyances, à chacun de le(s) décrypter.

Le sujet est difficile donc on a volontairement cherché une forme ludique. Dans l’esthétique mais aussi à l’intérieur des modules avec des jeux, des choix laissés à l’internaute, des formats courts, un univers fort.

Le projet ne laisse pas neutre. Il agace, énerve ou au contraire fait sourire voire fascine. Il questionne et en matière d’échanges et de débats, le web est un média taillé pour ce type d’expériences. Cela a permis un vrai travail de pédagogie autour de cette démarche documentaire, pour l’expliquer, aider à comprendre son formalisme.

Plus on expliquait le pourquoi du comment, plus on voyait des internautes expliquer à d’autres internautes qui se questionnaient eux aussi, sur Facebook ou des forums, le pourquoi de cette forme et le lien que cela entretenait avec le fond et plus les échanges étaient passionnants.

De la pédagogie pour dépasser cette forme si présente car le propos va bien plus loin que cette façade, des scientifiques, des zététiciens, des penseurs interviennent tout au long des modules et sur la chaîne DailyMotion de Lazarus.

Pour compléter le dispositif, deux documentaires seront bientôt diffusés par la RTBF puis par France Télévisions. L’un évoque des miracles religieux et l’autre les pseudos pouvoirs de l’esprit (radiésthésie, sourciers, marche sur le feu…) toujours avec ce but de mettre à jour une grille d’analyse et de décryptage.

Pour la diffusion, le parti pris par la RTBF est aussi innovant : successivement les 14 et 21 juin, chaque documentaire d’une heure sera diffusé à 20h exclusivement sur le site de la chaîne et accompagné d’un tchat avec un scientifique et Lazarus (himself !). Puis le film sera diffusé à 21h sur l’antenne hertzienne de la RTBF. Double ration pour les rationnalistes.

On pourrait être tenté de dire que les propos de Lazarus laissent parfois sceptiques mais c’est sans doute son but. Les démonstrations sur les croyances mystiques sont efficaces, choisir d’analyser également nos croyances sociales est un angle intéressant même si certains chiffres cités dans quelques modules (comme la démocratie par exemple) mériteraient d’être sourcés pour étayer la démonstration et ne pas rester uniquement dans cette atmosphère mystérieuse, passer plus rapidement dans ce concret que ce matérialiste défend.

Après une heure d’échanges avec le producteur du projet, on ne sait toujours pas réellement qui est Lazarus. Patric Jean qualifie ainsi :

Un rationaliste progressiste un peu anarchiste, libre-penseur. Il se dit inspiré par les Lumières. Il défend des valeurs d’égalité, de fraternité. Vu qu’il défend une pensée sceptique humaniste, il exprime de la sympathie pour différents combats: homosexuels, femmes, indignés, anonymes… Évidemment, il insiste en permanence sur un positionnement philosophique matérialiste et à ce titre défend la méthode scientifique dans tous les champs de connaissance.

Lazarus, si l’on dépasse le premier degré, est peut-être, finalement, à la fois clown et magicien. Clown car il ridiculise, retourne, détourne et parasite certaines de nos certitudes (chacun les siennes) et que sans doute, derrière son masque, il s’en amuse. Magicien car il en utilise les codes (sa canne est une réelle canne de magicien) et qu’il joue, au fil des modules, avec ceux qui le regardent comme le magicien nous demandant de choisir une carte. C’est étrange, obscur, on ne saisit pas bien le but au départ, pas toujours plus à l’arrivée mais Lazarus-Mirages est un projet entier et orginial. Et ce personnage masqué mérite que l’on s’assoie confortablement dans le doute pour suivre quelques-uns de ses raisonnements.


Photos et vidéos via Lazarus Mirages, tous droits réservés.

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Un photographe à contre-temps http://owni.fr/2011/06/24/un-photographe-a-contre-temps-les-hommes-grenier-bertrand-meunier/ http://owni.fr/2011/06/24/un-photographe-a-contre-temps-les-hommes-grenier-bertrand-meunier/#comments Fri, 24 Jun 2011 13:55:00 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=68379

Cage d'escalier pour accéder à l'appartement où vivent 10 locataires, la plupart âgés ou malades. Hong Kong. Chine. 03/2010. ©Bertrand Meunier - Tendance Floue

C’est l’histoire de deux cultures qui se rencontrent. Pas la culture occidentale et la culture chinoise. Non, la culture du documentaire au long cours qui se frotte aux contraintes du webdocumentaire. Cette histoire, Les hommes grenier du photographe Bertrand Meunier et du journaliste Michaël Sztanke, nous la raconte.

Au départ : “une interrogation sur l’urbanisme en Chine et en Asie, et les violences faites à l’homme dans sa façon de vivre”, rappelle Bertrand Meunier. Lui qui a déjà réalisé de nombreux reportages photo en Chine découvre le sujet du futur webdocumentaire dans un article de presse. À Hong Kong, des hommes et des femmes vivent dans des cages.

Dans certains immeubles, les gens vivent sur des lits superposés. Avant, les lits étaient fermés par des grillages, d’où “les homme cage”. Maintenant les grilles ont disparu, mais pas les dortoirs. On parle d’hommes grenier… Ces hommes qu’on exploite et qu’on cache.

Pendant plus de deux mois, 5.000 "chemises rouges" ont occupé le coeur de Bangkok pour réclamer la démission du gouvernement. Le fosse s'est creuse entre les masses rurales et populaires des environs de la capitale et les élites de Bangkok. Entre le 13 mai et le 19 mai, les affrontements entre les militaires et les manifestants ont été d'une grande violence. 89 morts et 1900 blessés. Bangkok. Thaïlande. 05/2010.

Le sujet est là. Il s’inscrit dans un projet plus large pour Bertrand Meunier : travailler sur quatre villes asiatiques – Hong Kong, Tokyo, Bangkok, Shanghaï – pour en faire apparaître une cinquième, synthèse des quatre mégalopoles, synonyme de centres commerciaux et épreuve de modes de vie et de consommation communs.

Pour traiter le sujet, Bertrand Meunier s’associe à un journaliste français, Michäel Sztanke, ancien correspondant de RFI en Chine qui travaille aujourd’hui pour Baozi Production. Ils montent le projet en réponse à un appel d’offre de la boîte de production Narrative. Une opportunité de commencer une série, et de s’initier au webdocumentaire. Michaël Sztanke filme. Bertrand Meunier photographie, en argentique. Sept jours sur place, de longues discussions avec les habitants par l’intermédiaire d’un guide, tout en maintenant une présence discrète.

C’est difficile de se faire accepter dans l’intimité des personnes qu’on rencontre. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux, nous avons énormément discuté. Dans certains cas, un locataire est chargé de ramasser le loyer des autres. Il paie son loyer comme ça, en travaillant pour le propriétaire. Eux n’aiment pas les journalistes.

Vue d'une partie du quartier de Sham Shui Po ou l'on trouve ces nombreux logements a louer: "maisons cages" ou "maisons-greniers" à 150 euros par mois. Hong Kong. Chine. 09/2009. ©Bertrand Meunier - Tendance Floue

Le webdocumentaire est une plongée dans cet environnement exigu. Plus que donner de l’information, Bertrand Meunier voulait faire “entrer le lecteur dans un univers”, le laisser plusieurs minutes face aux photographies, sans musique ni voix off. Un choix artistique difficilement compatible avec la forme actuelle du webdocumentaire selon lui, une ambition liée à son parcours professionnel. Issu du cinéma, il n’est devenu photographe professionnel que tardivement.

Je suis fasciné par le documentaire de Wang Bing À l’Ouest des rails. Il dure neuf heures. Il ne se passe rien mais c’est la qualité de ce documentaire, filmé en caméra à l’épaule. Le spectateur est mis en face du déclin industriel chinois et en prend plein la gueule.

Face aux questions de l’interactivité posées par les différentes formes du webdocumentaire, Bertrand Meunier préfère l’association du son et de la photographie où, selon lui, les choix artistiques et le propos des auteurs ne sont pas aliénés à la technologie. “Je m’interroge sur cette notion d’interactivité avec cette abondance d’information proposée au spectateur. La technologie du webdocumentaire interrompt le fil du récit”. Bertrand Meunier admet également être un inconditionnel de l’argentique : “J’aime le négatif, faire des tirages et toucher le papier. C’est un plaisir. Et je trouve que le rendu est magnifique.”

Quartier de Minowa au nord de la capitale. Un restaurant karaoké pour ouvriers. Ce quartier est connu pour accueillir la population la plus démunie de la ville. Les gens sont sans emploi ou travaillent comme ouvriers dans les chantiers. Tokyo. Japon. 06/2010. ©Bertrand Meunier - Tendance Floue

Dans ses futurs projets : un voyage subjectif en France, en son et en images, avant de revenir vers la Chine. Le travail en France a commencé en 2009 à Sète, prolongé dans les marais de la Somme, à Uzerche, et bientôt dans les Landes et l’Alsace.

J’ai envie de parler de mon pays. C’est un voyage subjectif en France, avec une narration précise. Ça s’appellera Dépaysement.

Inspiré par les photographies de Josef Koudelka sur l’exil, vingt ans de travail, et de Robert Frank sur Les Américains, deux ans à parcourir son pays, il espère que son travail sur la France aboutira en 2014. De l’engagement du documentariste, c’est la patience, la minutie et la lenteur que Bertrand Meunier aime plus que tout, dans une époque qu’il trouve si rapide.


Le documentaire Les hommes grenier sera projeté au festival des Nuits Photographiques ce vendredi 24 juin 2011. Rendez-vous à partir de 20h00 au Parc des Buttes Chaumont.

Photos ©Bertrand Meunier/Tendance Floue, tous droits réservés

Vous pouvez consulter les photos de Bertrand Meunier et des photographes du collectif Tendance Floue

Télécharger le programme des nuits photographiques
Télécharger l’affiche du festival:

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Duprat, l’histoire de l’extrême-droite que les médias ne racontent pas http://owni.fr/2011/05/15/duprat-lhistoire-de-lextreme-droite-que-les-medias-ne-raconte-pas/ http://owni.fr/2011/05/15/duprat-lhistoire-de-lextreme-droite-que-les-medias-ne-raconte-pas/#comments Sun, 15 May 2011 14:00:41 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=62743 C’est un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Que ceux qui n’étaient pas nés dans les années 60-70, qui n’ont pas vécu l’onde de choc de l’après-mai 68 ne comprendront sans doute pas ou regarderont d’un œil narquois. Un temps de passion politique extrême où étudiants et lycéens se divisaient en deux camps : fafs contre bolchos, nationalistes et néo-fascistes contre trotskystes et maos, Fac d’Assas contre Sorbonne et Nanterre. Où hordes rouges et noires s’affrontaient, casquées, à coup de barres de fer pour rejouer la révolution russe, la guerre d’Espagne, celle du Vietnam…ou carrément le Front de l’Est. Un temps où l’Internet n’existait pas, où les jeunes n’avaient pas la télé, où la politique se vivait avec les tripes et l’intellect, où l’information et la propagande passaient par la presse, les affiches et les tracts, où le théâtre-monde se résumait au quartier latin. L’Orient était Rouge contre « O, O, Occident ! »

Je n’ai pas connu directement cette époque sépia où les choses étaient si simples : les bons contre les méchants. Mais trop jeune pour avoir participé à ces batailles homériques (et forcément mythifiées) que nous contait nos aînés, membres de la famille ou dirigeants politiques des organisations gauchistes de l’époque, je l’ai vécu par procuration. J’ai voulu, comme tant d’autres, revivre et prolonger la geste politique des « années de rêve », ces histoires de manifs et de baston que l’on se transmettait de génération estudiantine en génération: étudiant au mitan des années 80, je me suis engagé radicalement contre la montée de l’extrême-droite…forcément à l’extrême-gauche. Là où il y avait du service d’ordre et du sport. Et j’ai moi aussi rejoué cette gué-guerre si dérisoire et pourtant incontournable quand on vivait l’engagement avec son temps : gauchos contre fachos, JCR contre rats noirs du GUD, courses poursuites, descentes musclées des Fafs à Tolbiac, embuscade à Jussieu et contre-descente à Assas, jeu de cache-cache avec les flics, casques et battes de baseball. Les manifs anti-Devaquet de 1986. La violence comme seul langage bête et primal alors que paradoxalement on verbalisait tant la politique au café-clope. Mais on ne dialogue pas avec un fasciste : en général il cogne le premier et dans nos petites têtes il fallait bien gagner la bataille de la rue au cri de « F comme Fasciste, N comme Nazi », si on ne voulait pas la perdre dans les urnes.

Duprat : l’éminence grise des fachos nouveaux

: A l’époque la bête immonde était la bête qui monte qui monte…et pour la première fois depuis « Radio-Paris ment Radio-Paris est allemand », elle s’adressait à la France entière pour cracher sa F-haine de l’autre. Le borgne avait mis un beau costume pour passer à la télé, troqué son bandeau de parachutiste tortionnaire contre un œil de verre et un costume-cravate bleu horizon. Sa bouche tordue crachait ces mots

Il y a 1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés de trop.

La Shoa ? « Un point de détail de l’histoire ». 6 millions de juifs assassinés ? « C’est un sujet sur lequel les historiens ne sont pas d’accord », etc…Si je vous raconte tout cela, c’est que ces mots écœurants mais très calculés avaient été mis dans la bouche de Le Pen par un homme de l’ombre : François Duprat. Le Mephisto-Phélès oublié qui présida à la création du Front National, « l’homme qui réinventa l’extrême-droite » en fédérant, sous une flamme tricolore bien plus présentable que la croix celtique, toutes les phalanges de l’ordre noir : nostalgiques du Maréchal Pétain et néo-facistes, anti-communistes viscéraux, nationalistes-révolutionnaires païens, catholiques intégristes, barbouzards et monarchistes de l’Action Française…ces sept familles de l’extrême-droite que tout séparait.

La légende noire de Duprat, mort le 18 mars 1978 dans un mystérieux attentat à la voiture piégé, ressurgit aujourd’hui par la grâce d’un formidable web-documentaire signé par l’historien Nicolas Lebourg et le réalisateur Joseph Beauregard et coproduit par Le Monde.fr, l’INA et 1+1 Production: François Duprat, une histoire de l’extrême-droite française.

Marine Le Pen : irrésistible icône télégénique

Ce n’est pas un hasard si ce documentaire, initialement tourné pour la télévision, a été refusé par toutes les télés. Ses auteurs ont du le réécrire au format webdocumentaire pour lui donner une audience via Lemonde.fr qui a eu l’intelligence de le mettre en ligne sans hésiter. Car cette enquête va là où les autres médias ne vont plus : derrière la lucarne aveugle du petit écran, aux racines du mal.

Tout le contraire de France 2 qui a diffusé lundi 9 mai un portrait très people et superficiel de Marine Le Pen dans Complément d’enquête. Où il était question de l’enfance de la blonde, de son amour filial pour papa, du traumatisme de l’attentat qui a visé le domicile familial, du départ de maman la vilaine qui a posé nue dans Playboy, du flambeau qu’elle a repris blablabla…La télé ne résiste pas à la fille Le Pen, une locomotive à audience, créditée de plus de 20 % des voix et que certains sondeurs voient déjà au second tour des présidentielles dans un « 21 avril à l’envers ». Pas plus qu’elle n’a résisté à son père. Au risque de l’institutionnaliser définitivement et de l’aider dans son entreprise de Lepénisation des esprits. Son discours n’est-il pas plus raisonnable ? Ne trouve-t-il pas écho aujourd’hui dans celui de la droite dite républicaine ? Ses thématiques favorites, l’immigration et la sécurité, ne sont-ils pas aujourd’hui « des sujets de société » qui seront au centre de la campagne électorale ? Des interrogations certes contrebalancées par un reportage en caméra cachée qui montre le vrai visage du FN, celui de toujours : racisme, anti-sémitisme, tentation d’un régime fort et fasciste. Mais qui reste en surface…comme toujours à la télé.

D’où vient le FN ? d’où vient l’entreprise Le Pen Père & fille ? Quel est le projet secret de leur parti depuis sa création en 1972 ? Qui était François Duprat et quel rôle politique, intellectuel et financier occulte a-t-il joué dans l’ombre du « Chef » ? Pour comprendre l’ambition actuelle de Marine Le Pen – et mieux la combattre – il faut donc savoir qui était ce Duprat mort il y a plus de trente ans, démêler le vrai du faux, la légende de la réalité. C’est à cette tâche que se sont attelés Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard. En remontant le temps, en s’aventurant derrière les apparences, par delà l’histoire officielle, dans ces zones d’ombres délaissées des projecteurs de l’actualité…

Ou comment un jeune homme, né en 1940 dans une famille « viscéralement de gauche », tombe du côté obscur de la force. Frappé d’une illumination fasciste, ces mots de Maurice Bardèche :

Il faut être intellectuel et violent.

Il s’engage du côté des proscrits du Paris de la fin des années 50 : ex-collabos, anciens miliciens, vieilles canailles anti-sémites et jeunes néo-fascistes, militants de l’Algérie française et soldats perdus des guerres coloniales, tous ralliés sous la bannière terroriste et anti-communiste de l’OAS.

Un parcours de Jeune Nation au FN en passant par Occident

On suit François Duprat de Jeune Nation à Occident dans les années 60, d’Ordre Nouveau à la création du Front National dans les années 70. Le dispositif original du Webdoc épouse la personnalité double et trouble de Duprat : l’histoire officielle et l’homme de l’ombre, que l’on visionne en parallèle en faisant tourner les facettes d’un cube-écran. En appui (indispensable pour les profanes), une belle frise chronologique interactive très didactique. Duprat jeune nationaliste exalté ? Agent des renseignements généraux dès l’origine, retourné par la police en échange de sa libération après sa participation au complot pro-OAS de Jeune Nation répond le miroir occulte. Une année de baroud au Congo aux côtés des mercenaires de Mobutu ? Grillé à Paris, Duprat est venu « se faire oublier » et produit du mythe « afin que plus personne ne puisse démêler le vrai du faux du faux du vrai ».

Camarade des Madelin, Longuet, Devedjian , Novelli et Robert sous la bannière d’Occident? C’est lui qui a balancé leurs noms aux flics après une descente à la Fac de Rouen en 1967 qui laissera sur le carreau un jeune gauchiste, fils de commissaire, le crâne fracturé à coups de clé à molette. L’anti-sionisme pro-palestinien ? Un vrai anti-sémitisme structurel qui en fait le principal agent du révisionnisme, le porte-voix des négationnistes.

La création d’Ordre Nouveau ? Une machine à recycler les fascistes précités dans les rangs de la droite « républicaine », pendant que les jeunes nervis du mouvement servaient de milice auxiliaire à la police pour lutter contre les gauchistes (qui eux attaquèrent par centaines un meeting fasciste à la Mutualité en mai 1973, menant à la dissolution symétrique d’Ordre de Nouveau et de la Ligue Communiste). L’argent du mouvement ? Il vient de l’internationale des dictateurs fascistes sous l’œil bienveillant de la CIA. Sa mort violente dans l’explosion de sa voiture ? On a parlé du Mossad…mais Duprat entretenait des liens étroits avec la CIA et « les services » français (à une époque où le ministre giscardien Robert Boulin « se suicidait » en se noyant dans 10 cm d’eau). Le mystère demeure entier, le secret bien gardé: les auteurs du documentaire se sont vu refuser l’accès à certaines archives du ministère de l’Intérieur plus de trente ans après les évènements comme le raconte l’excellent blog Droites Extrêmes du Monde.fr.

Pour en savoir plus sur Ordre Nouveau et ces années de plomb made in France, ce petit doc vidéo Youtube est fort instructif:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La stratégie de Marine Le Pen, fruit des théories de François Duprat

Comme antidote à cette engeance fasciste je vous recommande « Mourir à trente ans », le très beau film de Romain Goupil tourné de l’autre côté de la barricade. Ici l’attaque du meeting d’Ordre Nouveau par des centaines de jeunes de la Ligue Communiste qui se heurtent aux CRS… impressionnant:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le Pen dit lui-même de Duprat avec un sourire en coin : « c’était un personnage sulfureux ». Mais il vient saluer la mémoire du « martyr » chaque 18 mars sur sa tombe avec la vieille garde des nationalistes-révolutionnaires, qui, eux, saluent le bras tendu. Loin, bien loin de l’image respectable que tente de donner sa fille au mouvement pour tenter de conquérir le pouvoir « à l’italienne »… Le parti fasciste italien MSI, créé par des fidèles de Mussolini s’est rebaptisé Alliance Nationale dans les années 80. Il est arrivé dans les allées du pouvoir sous ce déguisement avec la clique de Berlusconi. Mettre en veilleuse les bras tendus et les cranes rasés, montrer un visage bleu-blanc-rouge plus respectable que la croix celtique sur fond noir, contaminer la droite sur le terrain des idées, la forcer à aller sur les mêmes thèmes racistes et sécuritaires, puis à nouer des alliances électorales pour gagner et gouverner ensemble…

C’est tout la stratégie de Marine Le Pen. C’était tout le projet théorisé par le marionnettiste François Duprat qui a mis ses mots et ses idées extrémistes dans le discours du Front National et dans la tête de millions de français.

Mais pour découvrir cette histoire occulte de l’extrême-droite française et voir ressurgir l’ombre de Duprat sur l’actualité politique d’aujourd’hui, il ne faut pas compter sur la télé. Heureusement, Internet ouvre aujourd’hui de nouvelles fenêtres sur cet envers de l’actualité, cette histoire underground qui fait l’Histoire et que les grands médias ignorent aveuglement. Au nom du « temps de cerveau disponible » et d’une supposée loi de l’offre et de la demande qui dicte aujourd’hui son stupide tempo marketing et publicitaire à l’information. Heureusement, il y a ce nouveau format, formidable, qu’est le web-documentaire qui permet de s’affranchir des storytellers et de toucher un public envers et contre la machine Audimat à décérébrer. Merci à Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard pour leur travail salutaire qui devrait bientôt trouver un prolongement sous la forme d’une biographie du fasciste Duprat à paraître aux Editions Denoël.

Article publié initialement sur le blog Mon écran radar, sous le titre : “François Duprat, une histoire de l’extrême-droite”: ce webdoc qui va là où la télé ne va pas.

Photo FlickR CC : L’imaGiraphe ; Cyrus Farivar ; staffpresi_esj ; Pierre-Marie Le Diberder (licence GNU).

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