OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Apple coupe le son http://owni.fr/2011/09/16/battle-apple-versus-hadopi-conseil-etat/ http://owni.fr/2011/09/16/battle-apple-versus-hadopi-conseil-etat/#comments Fri, 16 Sep 2011 15:06:49 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=79617 De sources juridiques, OWNI a obtenu confirmation que le groupe Apple attaquait devant le Conseil d’État un décret mettant fin aux Mesures techniques de protection, appelées MTP par les professionnels . Ce texte du 10 novembre 2010 oblige ainsi les industriels du web à rendre leurs fichiers et leurs logiciels compatibles les uns avec les autres, en particulier dans le domaine de la musique et des vidéos. Une mesure qui contraint Apple à déverrouiller ses produits iTunes.

Bataille juridique au Conseil d’État

Apple a donc déclenché une guerre de position devant le Conseil d’État contre la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), c’est-à-dire l’instance chargée de faire appliquer les différents décrets. Déjà, ce mercredi 14 septembre, neuf juges du Conseil d’État délibéraient sur une précédente requête d’Apple et de sa filiale luxembourgeoise iTunes. Dans ce cas, François Molinié, l’avocat de la firme, demandait l’annulation du décret organisant les attributions mêmes de la Hadopi .


Au cours de la séance à laquelle nous avons assisté, le rapporteur public a demandé un rejet des demandes de l’industriel . Mais le texte attaqué, fixant les statuts de la Hadopi, n’aborde pas les questions de fond sur les Mesures Techniques de Protection.

Pour conserver iTunes et son modèle verrouillé, Apple est prêt à tout. OWNI a contacté la direction de la communication d’Apple pour interroger des responsables de la firme quant aux motifs de cet acharnement juridique. Pour toute réponse, nos interlocuteurs nous ont demandé de leur adresser une copie de notre article.

Interopérabilité versus verrouillage

La peur d’Apple avec Hadopi tient en quelques lettres : l’interopérabilité. Autrement dit la possibilité de lire un même fichier sur tous les supports imaginables. Ce qui n’est pas le cas actuellement avec certains de leurs fichiers circulants. Jusqu’en 2009, tous les MP3 achetés sur l’iTunes Store, la boutique en ligne d’Apple, possédaient des MTP maison. Le verrouillage des produits, marque de fabrique de la pomme, est un véritable outil de gestion de son écosystème : la synchronisation d’un iPod – porte d’entrée des consommateurs dans le système Apple – n’est envisageable qu’avec iTunes. Idem pour l’ajout de morceaux ou vidéos sur l’iPhone. Qui possède l’un de ces produits doit se contenter de le faire fonctionner avec le logiciel made by Apple.

Les démarches devant le Conseil d’État contre les différents décrets visent avant tout à préserver ses bénéfices. Si la requête examinée mercredi devrait être rejetée par le Conseil d’État, en revanche, leur dernière demande sur la régulation des MTP sera l’occasion d’un débat juridique à l’issue plus incertaine.

Illustrations Flickr CC PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Xjs-Khaos et Paternité Thing Three

Retrouvez l’ensemble du dossier :
Apple à livre ouvert et Où Apple planque ses tunes

Illustration de Une par Loguy

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Leçons culturelles au profit de la glorieuse nation France http://owni.fr/2010/12/30/lecons-culturelles-au-profit-de-la-glorieuse-nation-france/ http://owni.fr/2010/12/30/lecons-culturelles-au-profit-de-la-glorieuse-nation-france/#comments Thu, 30 Dec 2010 16:05:45 +0000 Nicolas Bonci http://owni.fr/?p=40570 Avril 2009 : en plein débat sur la loi Hadopi et un an après la publication du rapport Ferran, la rédaction de l’ouvreuse.net réagissait dans un article pamphlétaire à l’éditorial du mensuel d’un cinéma art et essai de Nancy, reflet de l’idéologie protectionniste d’une partie de la profession, des exploitants de salles aux producteurs, du Centre National de la Cinématographie (CNC) aux auteurs.
Au-delà des questions propres au cinéma, les huit points abordés dans cet article nous paraissent toujours pertinents, remettant au centre du débat le spectateur-internaute face à l’industrie culturelle et aux enjeux de la neutralité du net et de la diffusion de la culture.

La France est le seul pays de par son système de production, diffusion, réseau d’exploitation à prouver au monde entier que le cinéma « Art » ça existe et que ça forme des spectateurs exigeants, critiques, bref citoyens. Pour ces raisons, il faut bannir le piratage.

Cette minute d’autosatisfaction arrogante à tendance ethnocentrique matinée d’une hâtive conclusion réactionnaire vous est offerte par le cinéma d’art et essai le Caméo de Nancy dans l’éditorial sa publication mensuelle.
En connaisseurs, nous ne pouvons qu’admettre qu’ils savent recevoir le spectateur à Nancy. Une telle accumulation de clichés doit peser sur l’estomac, mais qu’est-ce qu’on doit se sentir exceptionnel, intelligent et beau en se rendant au Caméo.

Il est rassurant de constater qu’à chaque période où la culture se retrouve au centre d’un large enjeu sociétal, tous les acteurs du secteur hurlent dans un même élan à la face des puissants : “Le pouvoir au peuple ! La culture dans la rue !”
Or ceci est ce que nous avancerions si nous possédions l’humour de Christophe Honoré . Il faut rapporter hélas une bien plus triste réalité devant tant d’apathie de la sphère créative autour du téléchargement dit illégal : une grande majorité n’a cure de la fonction réelle de la culture.
En effet, lorsqu’on en vient à trouver logique que des artistes insultent leur audience, lorsque des cinéastes préfèrent culpabiliser le public plutôt que remettre en question l’industrie à laquelle ils appartiennent, lorsque le moindre protagoniste du landernau culturel panique à l’idée que la culture soit accessible un peu plus chaque jour au péquin moyen au point d’en fantasmer moult conséquences néfastes (qu’on attend toujours), c’est qu’il doit exister un petit malaise au royaume des Arts.

Dans cet éditorial d’un directeur de cinéma “Art et Essai”, nous retrouvons les éternels réflexes protectionnistes, l’éternel discours abscons reposant exclusivement sur de l’auto-conviction (pour ne pas dire propagande) englobé dans une dangereuse absence de réflexion affranchie des positions officielles du ministère dont on dépend, l’éternelle rhétorique bourgeoise rabâchée mécaniquement quel que soit le sujet du débat, tout cela ne visant qu’un seul et unique but : sauvegarder le dernier privilège de certaines couches sociales : la culture.

Ce papier en provenance de Nancy, un modèle du genre, compile tout ce que l’on peut entendre depuis une demi-douzaine d’années chez les professionnels, des artistes aux producteurs en passant par les metteurs en scène, étudiants, journalistes, directeurs de troupes, directeurs de festivals, tourneurs, auteurs, stagiaires régies, assistants café…
Tentons alors d’en disséquer les rouages en huit points.

1- Refaire l’histoire à sa sauce

Paradoxalement, l’ensemble de la profession cinématographique de l’exploitation estime nécessaire une loi anti-piratage. Rappelons-en les grandes lignes. Plutôt qu’une loi répressive, la profession a opté pour une loi dissuasive, soit avertissement aux internautes contrevenants, c’est-à-dire à ceux qui piratent ; deuxième avertissement ; puis en cas de récidive, fermeture pour un mois du robinet du Net qui alimente leurs ordinateurs. Cette méthode a porté ses fruits aux USA. Elle n’est pas parfaite, mais réduit considérablement (environ 90 %) le piratage.

Etrangement, il nous semblait qu’une loi “anti-piratage” existait déjà, le droit d’auteur qu’on appellerait ça.
Plus étrange : la si bonne profession optait il y a trois ans pour la sévère loi DAVDSI, rendue quasiment inapplicable par le refus de cette même profession de la licence globale. Versatile, la profession. Ou alors se contente-t-elle de suivre rigoureusement les mesures des gouvernements successifs, quelles qu’elles soient, ne s’accordant que sur un unique thème : restreindre les accès à la culture sur les réseaux ?

Tout aussi étrange, la durée de coupure d’accès au Net, qui passe d’une année maximum à un petit mois, et l’oubli sur la double peine (rappelons que si on télécharge illégalement par le biais de votre adresse IP, on vous coupe Internet mais vous restez passibles de poursuites judiciaires, la loi actuelle ne devenant pas pour autant caduque).

Notons l’usage d’une référence pratique sur l’instant mais encombrante un peu plus loin : les USA, et ce chiffre sorti de nulle part. Que ce soit les States qui servent d’exemple dans ce paragraphe n’en est que plus croustillant lorsqu’on prend connaissance de la suite du raisonnement. Nous y reviendrons plus tard. Passons maintenant à l’axe suivant.

« Vous êtes marrants avec vos rêves de cinéma diversifié et transgressif, mais c'est le vrai cinéma là dehors, le vrai cinéma c'est du Dumont, c'est du Larrieu, c'est du Dardennes. Et le vrai cinéma, il se coupe les cheveux. »

2 – Evoquer les traumas révolutionnaires :

Rappelons qu’en France, le sport national est de transgresser, détourner… et que le nombre annuel de piratages des films est presque égal à celui du nombre de spectateurs dans les salles.

Et ça, la profession, elle n’aime pas beaucoup qu’on transgresse. Hou non. Cette si bonne profession, qui ne peut toujours pas s’émanciper de sa pensée aristocratique, trouve utile et malin de dénigrer le détournement et la transgression pour défendre l’art et la culture. Etonnant !
Les institutions ont donc fini par figer les idées et créer ce monstre immobile que l’on nomme “Cultuuuure”, boursouflé d’égo et aveuglément défendu par une armée de soldats quémandant subventions et reconnaissances officielles comme l’on implorait jadis un titre de noblesse.

Il est ainsi nécessaire de ne jamais bousculer, ne jamais transgresser, quitte à invoquer des maux imaginaires. Car quel peut être le rapport entre le nombre de spectateur en salles et la quantité de films piratés ? La phrase tend ici à sous-entendre que sans le piratage, les exploitants auraient un chiffre d’affaire deux fois plus gros. C’est une façon de voir. Une autre consiste à simplement observer les chiffres des entrées en salles :

Fréquentation des salles de cinéma en Franceen millions de spectateurs par an, depuis 1938

Et d’en conclure que le piratage participerait bien à l’augmentation quasi-constante de la fréquentation des cinémas depuis dix ans (l’ADSL date de 1999). Mais nous nous trompons peut-être, nous ne sommes pas la profession, donc pour une fois adoptons sa grande sagesse et gardons-nous d’émettre la folle hypothèse que plus les gens se cultivent, plus ils ont envie de se cultiver.
Et surtout, plus que tout, évitons de faire la folle relation suivante : plus la population transgresse, plus elle se cultive. Ce serait pire que croiser les effluves.

3 – Assurer d’agir au nom de l’Art et se dissocier de la masse

Je commençais cet édito par « paradoxalement ». En effet, l’argumentation du secteur commercial et celui du secteur Art et Essai sont différents. Celui des grands circuits est uniquement économique, d’où un manque à gagner et une désertification des salles. Celui des salles Art et Essai est sans doute économique (nécessité d’équilibrer les comptes), mais avant tout culturel et éthique.

Bien sûr. C’est si évident : des spectateurs qui doublent leur consommation de films pendant que les entrées en salles augmentent, ce n’est pas éthique, ce n’est pas culturel.
Non ce qui est éthique, c’est Alain Corneau engueulant depuis le jardin de sa villa le smicard téléchargeant des films. Ce qui est éthique, c’est pleurer dans la presse que le cinéma français se porte mal, qu’il va “mourir”, quand jamais autant de films, et de premiers films d’auteurs (!) ont été produits ces dernières années. Ce qui est éthique, c’est mettre en place une loi liberticide coûtant des millions d’euros au contribuable, avec mouchards et coupure à Internet à la clé, au nom de la défense des Majors. Ce qui est éthique, c’est ignorer purement et simplement les chiffres. Ce qui est éthique, c’est afficher sa méconnaissance de l’histoire de l’art pour mieux protéger un système dont la durée de vie ne pouvait dépasser les quarante ans. Ce qui est éthique, c’est défendre un tel projet de loi en y simulant son rôle (selon le point 1, c’est la profession qui a opté pour Hadopi, alors qu’elle ne fait que suivre et acquiescer les Majors et le gouvernement).

Ce qui est définitivement éthique, c’est cultiver le manichéisme élitiste entre cinéma “commercial” et “d’art et essai” quand le second a la possibilité concrète de se différencier du premier dans les actes mais préfère s’allier au discours confortable des potentats tout en se flattant d’être non-conformiste. Ethique…

4 – Affirmer que le “cinéma commercial” ne vaut même pas la peine d’exister

Le cinéma artistique (celui qui nous intéresse) ne trouve sa pleine dimension, son plein ressenti, sa pleine lecture que dans la salle de cinéma. Il est formateur de sensations justes des spectateurs. Tout autre support est réducteur à 90 % des effets produits dans la tête et le coeur des spectateurs. Tout autre support (et je ne parle ici que des supports légaux) permet simplement de prendre connaissance et non de vibrer, d’avoir des frissons esthétiques et d’intelligence.

Passage intéressant visant à conforter son lectorat dans l’idée que le seul cinéma qui vaille le déplacement est “l’art et essai”. Le cinéma à grand spectacle ne réussirait donc même pas à s’acquitter de sa tâche, à savoir en mettre plein les yeux sur grand écran ? Ben ça alors… Puis un drame de Damien Odoul sur une toile de douze mètres, c’est vrai que tout de suite, c’est autre chose.

Nous retrouvons ainsi cette belle valeur éthique du point 3 qui ne cloisonne pas du tout les genres, qui ne formate absolument jamais les spectateurs, les films et les idées, cette valeur éthique qui prône l’ouverture et met à bas les préjugés et autres combats de clochers, cette valeur éthique qui défend la culture sans jamais ô grand jamais rejeter ce qui n’est pas défini comme “artistique” par une obscure entité suprême, cette valeur éthique qui se garde bien de priver du moindre intérêt culturel ce qui ne rentre pas dans son giron immédiat.

« Alors, laquelle veut toucher le cinéma qui a survécu à la télévision de l'ORTF, à la VHS de JVC, au DVD de Sony mais qui risque de ne jamais revenir de sa mission contre les ordinateurs maudits de gus planqués dans des garages ? »

5 – Culpabiliser le citoyen, ne pas critiquer l’Etat ni les institutions

Le piratage permet aux internautes de s’approprier des films avant ou immédiatement après la sortie en salle. C’est un détournement complet de la dimension réelle du film et ce n’est pas ainsi qu’on rendra le spectateur critique et citoyen. C’est purement et simplement un consumérisme qui “bousille” le film et tire le spectateur vers une uniformisation du « voir ».

On revient au piratage, associé maintenant au “consumérisme” (sic). Rappelons qu’au point 2, le piratage n’était que “transgression”. Nous avouons avoir du mal à comprendre comment les deux notions peuvent cohabiter.
Informons tout de même l’auteur de cet éditorial que le piratage permet très, très rarement aux films estampillés “Art et Essai” d’être disponibles en ligne au moment de leur exploitation. A moins que Les Bronzés 3 ou Wolverine ne soient de l’art et de l’essai et qu’on ne nous aurait rien dit.
Informons également l’auteur que la réforme de la chronologie des médias ramenant les fenêtres d’exploitation des films en DVD de six à quatre mois (voire trois) votée au début du mois à l’Assemblée concourt bien plus à détourner “la dimension réelle du film” dans le cas des œuvres artistiques (ou qui essaient de l’être).

Ainsi donc le consumérisme bousille le film, celui-ci devant vivre absolument au cinéma et y mourir de sa belle mort. Sauf quand ce consumérisme est encouragé par le gouvernement.
Si la citoyenneté du spectateur est remise en cause sous un prétexte aussi illogique qu’injuste, pourquoi ce spectateur n’aurait pas le droit en retour de décider quelle est pour lui la meilleure façon de découvrir les films ? Et si la meilleure éducation cinéphile et critique pour le spectateur ne serait pas de mettre un terme aux impostures intellectuelles qui se tournent invariablement vers les mêmes coupables ?

6 – Se réfugier dans l’exception culturelle, faire le coq et dénier la réalité de la plus puissante des manières

Depuis maintenant 50 ans, le cinéma français tient tête au cinéma américain. La France est le seul pays de par son système de production/diffusion/réseau d’exploitation à prouver au monde entier que le cinéma «Art » ça existe et que ça forme des spectateurs exigeants, critiques, bref citoyens. Pour ces raisons, il faut bannir le piratage. Mais aussi pour ne pas arrêter la chaîne de création des auteurs-réalisateurs, il faut bannir le piratage.

Qu’ajouter de plus ? What else? comme dirait l’autre.
Nous y retrouvons le combat manichéen “nous / eux”, le chant de gloire à la Nation triomphante, l’enfermement sur soi qui empêche de constater comment des dizaines d’autres pays fonctionnent bien mieux que l’Hexagone avec différents systèmes, le culte de “l’auteur-réalisateur” qui n’a rien à faire là mais cela fait toujours bien de balancer du champ lexical, l’idée suprêmement conne que l’on sert encore d’exemple et que notre cinéma est respecté de par le monde, concomitant du fantasme absolu à la limite de la xénophobie voulant que seule la France enfante encore de vrais grands films d’Art.

Non, il a tout mis là. C’est un peu bourratif mais on se régale.
Au risque d’en sortir certains de leur transe un peu brusquement, rappelons que les “spectateurs exigeants critiques bref citoyens” formés par la mirifique sphère du cinéma français ont plébiscité l’an dernier Bienvenue Chez Les Ch’tis, Astérix Aux Jeux Olympiques et Disco quand les ignares d’en face consommaient du There Will Be Blood, du Dark Knight et du No Country For Old Men. Sacrée formation dites donc.

De ce déni des réalités devons-nous en déduire l’incohérente évolution entre l’exemple à suivre du point 1 qui devient ici ce système contre lequel on “tient tête depuis 50 ans” ?

Et juste histoire de chipoter, on va signaler au milieu cinéphile français (qui n’a rien à apprendre, mais tentons tout de même) l’existence d’un groupe de réflexion pour qui tout n’est pas aussi rose (d’augustes inconnus n’y entendant rien à la profession), à l’origine d’un livre expliquant clairement comment le système de production français s’est perverti et produit depuis vingt ans l’effet inverse de ce pour quoi il était prévu, proposant de nombreuses et intéressantes pistes à suivre pour relancer l’intérêt du cinéma national sans jamais aborder le cas du piratage.
Car il nous semble que dans les années 80 le cinéma français n’avait pas besoin du téléchargement pour péricliter dangereusement.

« Ha ha, vous voulez dire que le cinéma espagnol, sud-coréen, américain, anglais, mexicain, scandinave… se portent mieux que notre cinéma subventionné par le Général ? Mouhahahaha ! »

7– Proclamer qu’à partir du moment où un objet culturel est solicité par le peuple, cet objet n’appartient plus à la culture

Il faut savoir choisir : donner le goût du vrai cinéma dans les salles de cinéma aux jeunes générations, ou au nom d’une prétendue égalité à la culture (culture qui ici n’en est plus une, ainsi que nous l’écrivions ci-avant), ouvrir tout grand le robinet du Net et légaliser la médiocrité, le consumérisme du n’importe quoi, n’importe comment.

Oui, il faut savoir choisir : continuer d’espérer que des générations n’ayant jamais mis les pieds dans un cinéma d’art et d’essai finissent par s’y précipiter par on ne sait quel miracle (ha oui, c’est vrai, en leur coupant Internet, ils seront d’humeur), ou saisir l’opportunité du téléchargement pour ouvrir les publics à des horizons qu’ils n’auraient jamais fréquentés autrement.

L’élitisme est l’ultime ornement dont se parent les imbéciles descendants de monsieur Jourdain. Donc ne nous leurrons pas, le devenir culturel de la population n’est pas le fond du débat. Il ne l’a jamais été, on l’a vu. Le véritable enjeu est la nature sociologique de la culture dès lors qu’elle coule littéralement dans les foyers sans que l’on puisse en contrôler la nature et le débit. Pour certains, cela la gâte et la transforme en “consumérisme”, en “médiocrité” : évidemment, cette culture “contaminée” ne peut plus leur servir d’apparat, il faut la jeter, la brûler. A ces alchimistes de pacotille baignant dans la culture, on serait tenté de rétorquer qu’ils sont les plus parlants exemples de ces mutations redoutées.

Mais on préférera leur répondre que lorsqu’on défend une culture contrôlée et distillée au compte-goutte par les officiels en dépit d’une culture libre, mouvante, désordonnée et illimitée, il est grandement temps d’ouvrir les livres d’Histoire.

8– Reporter ses responsabilités d’acteur du milieu culturel sur la classe politique

Nos députés ont la lourde et sérieuse tâche du choix. Subir la technique du net et du vol légalisé et abandonner tout objectif culturel ou en encadrer le fonctionnement au travers d’une loi anti-piratage dissuasive. Il y va de la dimension artistique du cinéma. C’est un véritable enjeu de société : avaliser les méfaits produits par la technique du net, et en faire subir définitivement les effets dévastateurs sur le citoyen spectateur ou encadrer la technique, donc respecter les oeuvres.

On peut choisir de respecter le spectateur aussi. Ce n’est pas incompatible.
Mais on l’a vu, pour en arriver à ce genre de conclusion il y a huit torsions cérébrales à effectuer auparavant.

Toujours les premiers à donner des leçons, toujours les premiers à se laver les mains des conséquences de leurs désirs, ainsi agissent les apôtres de la profession : “Vous comprenez, messieurs les députés, les citoyens ne respectent plus le cinéma, mais ce n’est pas parce que nous avons produit et vendu des films comme on produit et vante des paquets de lessive ; les citoyens n’ont plus de sens critique, mais ce n’est pas parce que le milieu, des écoles aux rédactions en passant par les comités, met tout en œuvre pour annihiler les moindres velléités critiques personnelles : non, c’est tout à cause du piratage.”
La profession ? Elle est blanche comme neige. Vierge de tout défaut. Elle est, nous pouvons le dire, un excellent produit.

Quand tout s'effondre autour de lui, le cinéma français sait rester digne et se remettre profondément en question.

Ces huit points rhétoriques façonnent la pensée d’une large partie des acteurs du monde de la culture et du spectacle. Les raisons sont autant historiques, sociologiques et structurelles que bassement idéologiques.
Par expérience, nous savons que beaucoup vont réfuter cela et n’y voir qu’un simple exemple parmi tant d’autres de discours maladroit. Soit. Ce qui conforte l’idée que nous sommes véritablement un peuple bien sympathique pour se laisser aussi souvent insulter dans ce qui ressemble trop à une parodie de films populaires des années 60.

Donc pour nous quitter, voici un petit éditorial tout chaud qui ne révèle évidemment absolument rien de la mentalité des élites culturelles qui nous gouvernent :

Drôle de victoire ! Vingt et un députés socialistes se congratulant après le rejet de la loi internet ! Ils ne réalisent donc pas qu’en défendant le piratage ils se font les avocats du capitalisme sauvage…
Libertaire, le piratage ? Un espace d’échange libre et non marchand ? La vérité, c’est qu’il est libéral. Et même ultralibéral. C’est le sacre de la déréglementation. Des multinationales des télécommunications, pourtant riches à milliards, pillent les catalogues de cinéma et de musique pour stimuler la vente de leurs abonnements internet. Sans payer les artistes ! La «subvention » accordée bien involontairement par le cinéma et la musique aux fournisseurs d’accès représenterait plus de 500 millions d’euros par an ! Or voici la gauche en tête de la croisade pour défendre la liberté du renard télécoms dans le poulailler du cinéma et de la musique. Absurde ! C’est la gauche, avec Léon Blum en 1946, qui a inventé «l’exception culturelle». C’était le refus de livrer les biens culturels aux seules lois du marché.
La sauvegarde de la création et de la diversité artistique est à ce prix. C’est Malraux puis Lang qui ont fortifié cet édifice sans exemple dans le monde. Voilà pourquoi nous sommes le seul pays, en dehors des Etats-Unis, à avoir une musique et un cinéma vivants. Et c’est la gauche qui propose de faire sauter la digue ? «Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège», disait Lacordaire. Etrange situation française, où la gauche défend la liberté qui opprime et Nicolas Sarkozy, la loi qui protège.

Denis Olivennes – Le Nouvel Observateur n° 2319

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Article publié initialement sur le site l’ouvreuse.net, sous le titre : Leçons culturelles au profit glorieuse nation France

Crédits photo : pour OSS117 le press kit Unifrance ; Sur flickr en licence CC phill.d

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Just hack it http://owni.fr/2010/05/17/just-hack-it/ http://owni.fr/2010/05/17/just-hack-it/#comments Mon, 17 May 2010 16:13:47 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=15729 Photo CC Flickr Steven and Sarah

“Si la code c’est la loi, selon Lawrence Lessig, l’inverse est aussi vrai : la loi c’est aussi du code.”

Donc on peut la hacker, quand son code vous semble sale, au sens premier du terme, la “bidouiller” en toute légalité. C’est tout naturellement au vocabulaire de l’informatique que Jérémie Zimmermann et Benjamin Ooghe-Tabanou empruntent pour expliquer leur démarche, samedi dernier à La Cantine, lors d’une conférence organisée à l’occasion de Pas sage en Seine 2010.

Car en matière de crasse législative, rayon Internet, ils sont experts du chiffon. Le premier est porte-parole de La Quadrature du Net, qui se bat pour nos libertés numériques, et Benjamin est co-fondateur de Regards citoyens, un collectif qui cherche à fournir aux citoyens un accès simplifié au fonctionnement des institutions démocratiques grâce à Internet. Comme une partie de ses fondateurs, il a été membre du collectif StopDRM, dont l’hacktivisme sera évoqué un peu plus loin.

Pour comprendre leur démarche, il faut entendre “loi” au sens large du terme :

“tout ce qu’il y a autour, la société, les juges qui l’interprètent, le gouvernement et l’opinion publique qui pousse à l’élaborer, le processus social, plus difficile à saisir, mais qui peut aussi se bidouiller à l’aide des techniques et de l’intelligence collective”, précise Jérémie.

Concrètement, et pour filer la métaphore, prenez une loi qui vous semble crade, par exemple, mais vraiment par exemple, le paquet Télécom. Cet ensemble de directives européennes régulant le secteur des télécommunications comprenait des bribes d’Hadopi, en particulier la riposte graduée. La Quadrature a tenté de lui appliquer un patch sous la forme de l’amendement 138, qui voulait imposer un jugement préalable avant toute suspension de l’accès à Internet.

Familier du Parlement européen, Jérémie Zimmermann en a profité pour évoquer l’obscurité parfois de ses procédures, parlant de “la maladie de l’amendement de ‘compromis”, négocié dans l’opacité, sur lesquels on ne peut pas revenir une fois votés.

Autre option, “le débug final”, qui vise à intervenir après le vote d’une loi pour en montrer les failles. Et de citer l’initiative de StopDRM, collectif dénonçant les Digital Rights Management, ces verrous numériques empêchant la copie privée et dont le contournement devait être réprimé par la loi DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information).

On ne s’étonnera pas d’apprendre que Benjamin en faisait partie… Pour démontrer l’illégitimité de cette sanction, qui contrevenait à l’obligation d’interopérabilité des contenus, des membres s’étaient rendus volontairement à la justice. Une opération couronnée de succès puisque le Conseil d’État a annulé le décret litigieux.

Plus lisible pour le grand public, c’est son cœur de cible, l’action de Regards citoyens s’inscrit dans cette même logique, appliquée au fonctionnement même de notre démocratie, en incitant à plus de transparence et d’accountability de la part des institutions et des élus, ce qu’on pourrait traduire par “responsabilité”.

Évoquer leur action, c’est inévitablement inévitablement aborder la question du e-gouvernement et de l’open-data. Car si “les données permettent de faire beaucoup de choses”, encore faut-il qu’elles soient accessibles dans un format exploitable. Et la France est à la traîne en ce domaine. “En Grande-Bretagne, le vote des députés est disponibles, a ainsi expliqué Benjamin, alors qu’en France les votes ne sont pas publics de façon générale.”

Faute de données claires sur le site de l’Assemblée nationale, Regards citoyens a donc mis en place dans un premier temps Députés godillots, pour pointer du doigt les dormeurs du banc, qui s’expriment sur les lois et les votent sans avoir suivi les débats. NosDéputés.fr est venu ensuite, mesure plus large et systématique de l’(in)activité du Parlement.

Limite à la métaphore, comme l’a rappelé Jérémie Zimmermann, si la loi était vraiment du code, les erreurs seraient automatiquement signalées.

Si l’ouverture des données facilite la surveillance, il faut dire et redire que la vigilance des citoyens reste essentielle. Et dans ce sens, il est essentiel d’avoir à l’esprit ce point : La Quadrature, Regards citoyens, pour parodier la fameuse collection, c’est “le hacktivisme citoyen pour les nuls”.

Leur quotidien est un patient travail d’endurance -nouer des relations de confiance avec attachés parlementaires, maitriser à fond le dossier, passer des heures sur les bancs de l’AN…-, pour permettre à tout un chacun de hacker, à son niveau. Le mot “boîte à outils” est revenu souvent dans la bouche des intervenants, et c’est pas qu’un mot en l’air. Les écouter, c’est prendre un coup de pied aux fesses, sur le mode, “tu n’as aucune excuse pour ne pas te bouger”.

Just hack it. Now.

La conférence est visionnable en intégralité sur le site de La Cantine

La Quadrature du Net et Regards citoyens ont besoin de votre soutien.

OWNI a réalisé avec l’aide de Regards citoyens l’application Où je vote ? lors des dernières régionales.

Sur le même sujet, lire l’article de Serge Soudoplatoff, “Pour un gouvernement 2.0″

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http://owni.fr/2010/05/17/just-hack-it/feed/ 7
“ACTA: Une contrefaçon de démocratie” http://owni.fr/2010/01/31/acta-une-contrefacon-de-democratie/ http://owni.fr/2010/01/31/acta-une-contrefacon-de-democratie/#comments Sun, 31 Jan 2010 15:11:41 +0000 Sandrine Bélier http://owni.fr/?p=7451 Sandrine Bélier, députée européenne Europe Ecologie, et Marie Bové, tête de liste Europe Ecologie en Gironde pour les régionales, reviennent sur l’accord commercial anti-contrefaçon ACTA et tirent la sonnette d’alarme :

“Du 26 au 29 janvier, un 7ème round de négociations pour un accord commercial anti-contrefaçon a réuni à Mexico le Japon, les pays européens, la Corée, le Canada… Objectif : en finir avec les internautes diffusant librement autant d’œuvres culturelles que de savoirs scientifiques à l’instar des brevets industriels ou des droits d’auteur. Une méthode : le secret défense.

Qui a entendu parler de l’accord commercial anti-contrefaçon ACTA? Pas grand monde… Pas étonnant, car cet accord multilatéral qui n’est adossé à aucune institution internationale est négocié depuis deux ans dans le plus grand secret. Il regroupe l’Union européenne, les Etats-Unis et une dizaine d’autres pays, principalement membres de l’OCDE et quelques Etats du Sud qui servent de caution.
Lorsqu’avec cet accord les pays riches se seront entendus, ils feront pression sur les pays en développement, sans que ceux-ci n’aient eu leur mot à dire, pour qu’ils s’y rallient, contraints par des accords bilatéraux. Quelques entreprises espèrent par l’ACTA, au nom d’une «propriété intellectuelle» toute puissante, restreindre l’accès aux médicaments génériques et à la connaissance des citoyens du monde entier. Nous devons les en empêcher !

L’ACTA concerne de nombreux aspects de nos vies, de celles de nos concitoyens, et au sens large des habitants du monde entier. A l’origine de cet accord, il y a la volonté des firmes pharmaceutiques d’utiliser l’épouvantail de la contrefaçon et, en favorisant un l’amalgame avec les génériques, de limiter par tous moyens la circulation et le recours à ces médicaments moins chers qui échappent au contrôle des détenteurs de brevets. Il y a la volonté de s’assurer, en somme, que les pauvres ne puissent être soignés sans payer le prix fort aux multinationales du médicament.

Mais ce n’est pas tout. Les mêmes industries du divertissement qui ont dicté les lois HADOPI, DADVSI, et promeuvent partout dans le monde une vision extrémiste d’un droit d’auteur tourné contre le public, tiennent la plume. Plutôt que d’adapter leurs modèles économiques, ils utilisent l’ACTA pour tenter, à l’échelle globale, de contrôler Internet.

Aux dires mêmes des négociateurs de la Commission européenne [1], l’ACTA prévoit d’instaurer la responsabilité des acteurs de l’Internet (hébergeurs, fournisseurs d’accès) pour le contenu soumis au droit d’auteur qui transiterait par leurs services. Une telle épée de Damoclès transformerait inévitablement les intermédiaires techniques en policiers privés du Net, ouvrant ainsi la voie au filtrage des contenus et autres dérives anti-démocratiques.

Nous nous opposons à cet accord dangereux, dont le secret des négociations est révélateur d’intentions contraires à l’intérêt général. Il est le symbole du comportement prédateur et malsain de ces entreprises s’appropriant un nombre croissant de ressources informationnelles  au mépris de la liberté, de la démocratie et du développement de nos sociétés en réseau. Il est tout ce que nous détestons, et doit à tout prix être abandonné pour laisser place à une vaste concertation sur l’avenir de la «propriété intellectuelle» et d’Internet dans laquelle les citoyens auront leur mot à dire. Internet, la production de savoir et l’accès à la connaissance sont bien trop importants pour être ainsi sacrifiés.”

[1] L’analyse «fuitée» de la Commission Européenne est disponible ici

» Cet article a également été publié sur LibéBordeaux

» Illustration de la page d’accueil par Raïssa Bandou sur Flickr

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http://owni.fr/2010/01/31/acta-une-contrefacon-de-democratie/feed/ 18
Un droit des utilisateurs bientôt reconnu à l’OMPI ? http://owni.fr/2009/12/28/un-droit-des-utilisateurs-bientot-reconnu-a-l%e2%80%99ompi/ http://owni.fr/2009/12/28/un-droit-des-utilisateurs-bientot-reconnu-a-l%e2%80%99ompi/#comments Mon, 28 Dec 2009 16:37:07 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=6463

Dans ma lettre au père Noël cette année, j’avais demandé un droit des utilisateurs doté d’une valeur égale au droit d’auteur. Nous n’y sommes pas tout à fait encore, mais ce qui se passe à l’OMPI laisse entrevoir une lueur d’espoir. (Hope. Par herby fr. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Il s’est passé quelque chose d’important la semaine dernière à l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) , dont le site de la Quadrature du Net s’est fait l’écho, en titrant “Copyright: Toward a recognition of user’s rights at WIPO”.

Le Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes (SCCR) qui était réuni du 14 au 18 décembre pour examiner la question des exceptions et limitations au droit d’auteur a abouti à une forme de consensus pour avancer sur la question de l’accès aux oeuvres protégées en faveur des personnes souffrant d’un handicap visuel. Soutenue par le Brésil, le Paraguay et l’Equateur, une proposition de nouveau traité a même été déposée sur cette question, qui contient des dispositions relativement avancées.

Ce progrès s’inscrit dans un cycle de réflexion plus global engagé par l’OMPI à propos de la reconsidération des exceptions et limitations au droit d’auteur, dont j’avais déjà parlé dans S.I.Lex au moment de son lancement, car il concerne aussi des activités comme l’étude et la recherche, ainsi que les exceptions en faveur des bibliothèques, des musées et des archives. L’IFLA (la Fédération Internationale des Associations de Bibliothèques) est d’ailleurs associée depuis l’origine à ces travaux.

Il s’agit d’un signal important que les choses sont peut-être doucement en train d’évoluer au niveau international et une lueur d’espoir alors que par ailleurs, les accords ACTA, négociés en dehors du cadre de l’OMPI, représentent une menace très forte pour les exceptions au droit d’auteur et pour les libertés en général. Le sort de l’équilibre des droits se joue en effet sur plusieurs fronts.

Faut-il cependant y voir une forme de consécration d’un “droit des utilisateurs” ? Ce n’est pas encore sûr, mais l’évolution est suffisamment importante pour prendre le temps de bien cerner ce qui est en jeu.

D’après le blog Intellectual Property Watch (excellente source d’info), les discussions du comité et le traité proposé visent à lever les restrictions imposées à la migration des oeuvres protégées vers des formats accessibles aux malvoyants (comme la norme Daisy), ainsi qu’à l’accès et au partage de ces oeuvres sous forme adaptée au niveau international.

Il est déjà possible de mettre en place des exceptions au profit des handicapés dans le cadre des traités de l’OMPI et la directive européenne sur le droit d’auteur le prévoit aussi explicitement. La nouveauté, c’est que cette proposition de traité rendrait obligatoire une telle exception, ce qui viendrait combler de nombreuses lacunes et disparités constatées au niveau mondial dans une étude de 2007 commandée par l’OMPI.

En France, une telle exception a été introduite par la loi DADVSI en 2006. Elle est très complexe dans sa formulation et il a fallu plusieurs années pour que les décrets d’application entrent en vigueur, mais elle permet à des associations agréées de se tourner vers la Bibliothèque nationale de France pour obtenir les fichiers numériques d’œuvres en format ouvert, afin de les communiquer sous forme adaptée à des personnes souffrant d’un handicap.

Il faut noter que les travaux de l’OMPI ont visiblement fait l’objet d’intenses négociations, qui redessinent quelque peu le profil de la géopolitique du droit d’auteur. Ce sont bien sûr les pays du Sud (Amérique latine – les porteurs du traité- mais aussi Afrique) qui sont les prometteurs les plus actifs de cette vision plus équilibrée. Mais il est intéressant de noter que les Etats-Unis, longtemps opposés à toute évolution des traités sur le droit d’auteur, ont soutenu ce projet relatif aux handicapés. Et comme le rapporte EFF, ce soutien paraît même aller plus loin et englober une réelle volonté de rétablir un meilleur équilibre de la propriété intellectuelle (voyez l’extrait de la déclaration américaine ci-après).

We recognize that some in the international copyright community believe that any international consensus on substantive limitations and exceptions to copyright law would weaken international copyright law. The United States does not share that point of view. The United States is committed to both better exceptions in copyright law and better enforcement of copyright law. Indeed, as we work with countries to establish consensus on proper, basic exceptions within copyright law, we will ask countries to work with us to improve the enforcement of copyright. This is part and parcel of a balanced international system of intellectual property.

Cette évolution est d’autant plus méritante qu’un lobbying intensif de la part des industries culturelles américaines a précédé la réunion de l’OMPI, pour décourager tout évolution en faveur d’un meilleur accès et l’article de la Quadrature nous apprend que les représentants des titulaires qui ont agi sont les mêmes que ceux qui promeuvent les accords ACTA.

La mauvaise nouvelle vient hélas plutôt du côté de l’Union européenne qui a freiné des quatre fers à cette idée de nouveau traité, estimant qu’il fallait rassembler plus de données pour établir un lien entre les barrières à l’accès et les restrictions imposées par le droit d’auteur. Les représentants de la Commission ont même graduellement fait évoluer la position finale du Comité, qui parle seulement d’ouvrir des consultations à Genève en vue de dégager un consensus. Cette attitude de la Commission peut paraître assez contradictoire avec certains travaux engagés par ailleurs, comme le livre vert “Le droit d’auteur dans l’Economie de la Connaissance” qui comportait des développements importants sur les handicapés et plus largement sur la nécessité d’aboutir à un meilleur équilibre du droit d’auteur. Mais de communications en consultations, il faut avouer qu’il devient difficile de suivre la position de la Commission en la matière et qu’on ne retrouve plus cette volonté d’équilibre une communication comme “Renforcer l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur”. L’attitude de la Commission vis-à-vis des accords ACTA est loin d’être complètement cohérente également avec les intentions affichées par ailleurs.

Plus largement, les objectifs visés par l’OMPI se sont hélas réduit au cours des travaux du Comité de la semaine dernière. Celui-ci devait en effet aborder de manière beaucoup plus large la question des exceptions au droit d’auteur, pour traiter de la recherche, de l’enseignement et des services de bibliothèques et d’archives. Un consensus minimum n’a pu émerger qu’à propos des dispositions en faveur des handicapés visuels et Intellectual Property Watch rapporte qu’il existe une dissension entre les pays qui souhaitent avancer maintenant sur cette seule question (Afrique) et d’autres (comme l’Inde) qui voudraient revenir à une conception plus large englobant plusieurs exceptions.

Quoi qu’il en soit, il faudra suivre de près ces travaux de l’OMPI qui apportent un peu d’oxygène en cette période où la pression du droit d’auteur se fait de plus en plus forte. Pour autant, doit-on y voir une consécration à venir d’un “droit des usagers” ? Je n’en suis pas certain.

Car les travaux de l’OMPI restent pour l’instant dans le cadre des seules exceptions et limitations, question certes très importante mais qui ne remet pas fondamentalement en cause la logique du système de la propriété intellectuelle. Les droits exclusifs des titulaires restent la règle et ce n’est que dans des domaines strictement limités que des exceptions peuvent jouer pour favoriser d’autres droits comme l’accès à la culture, à l’information ou à l’éducation. L’évolution du système au niveau mondial tend d’ailleurs à cantonner ces exceptions dans un rôle de plus en plus mineur (effet du test en trois étapes). En France, une exception comme la copie privée par exemple peut tout simplement disparaître à cause des DRM par exemple, comme l’a reconnu la Cour de Cassation dans sa jurisprudence Mulholland Drive.

Pour aboutir à un réel droit des usagers, il faudrait aller plus loin et sortir justement du système des exceptions en consacrant explicitement d’autres droits avec la même force que le droit d’auteur. J’ai déjà essayé de montrer dans S.I.Lex comment on pourrait reconstruire l’équilibre, en s’appuyant sur les ressources des nos instruments de protection des droits de l’homme. Le Conseil Constitutionnel cet été dans sa censure de la loi Hadopi au nom de la liberté d’expression a montré la voie d’un tel équilibre des droits.

Au niveau mondial, je ne connais guère que l’exemple du Canada qui s’est engagé dans une forme de reconnaissance explicite d’un droit des utilisateurs, par une jurisprudence de sa Cour suprême en 2004.

Ce serait une belle bataille à mener que la reconnaissance d’un tel droit au niveau de notre constitution. Espérons que la réflexion engagée à l’OMPI en faveur des exceptions puisse jouer un effet d’entraînement.

D’autres diront que finalement, c’est le droit d’auteur tout entier qui devrait être une exception, puisque les oeuvres sont toujours créées à partir d’un fonds commun d’idées et de pensées qui ne sont pas protégeables. Elles reçoivent un temps seulement une protection spéciale, avant de rejoindre le domaine public où elles redeviennent la chose de tous. Dans un système bien compris, la liberté devrait être la règle et le copyright seulement l’exception.

Mais le sens de cette conception paraît hélas perdu et j’ai du mal à croire que j’en verrai le retour de mon vivant.

En attendant, obtenir de meilleures exceptions est encore un combat qui mérite d’être livré et si cela arrive, ce sera déjà un peu… comme un Noël en hiver !

» Article initialement publié sur S.I.Lex

» Illustration de la page d’accueil via Pugno Muliebriter sur Flickr

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