OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Et si c’était la faim de l’Open Data http://owni.fr/2012/11/06/et-si-cetait-la-faim-de-l-open-data/ http://owni.fr/2012/11/06/et-si-cetait-la-faim-de-l-open-data/#comments Tue, 06 Nov 2012 16:24:35 +0000 libertic http://owni.fr/?p=125241

Nous assistons depuis quelques semaines à la fleuraison de nombreux articles venant orner avec anticipation la tombe de l’Open Data français. Entre le retour de la question de la tarification des données, la fermeture de services basés sur des informations santé, et le remaniement d’Etalab, les pythies prédisent déjà la fin de l’aventure Open Data.

Certaines questions n’ont pourtant pas lieu d’être tandis que d’autres signes, parfois passés inaperçus, semblent plus préoccupants pour l’avenir. Puisqu’il semble d’actualité en période d’Halloween de jouer à se faire peur, si on développait de vrais arguments de préoccupations après avoir fait tomber les faux ?

L’horreur de la gratuité

Le 17 octobre dernier, un article des Echos paraissait sous le titre : L’État pourrait renoncer à la gratuité des données publiques. Olivier Schrameck, membre de la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique s’y interrogeait sur la pertinence de proposer gratuitement des données publiques en temps de crise. Cet article largement cité a inauguré la saison d’écrits mortifères sur la future tarification des données, le conditionnel étant devenu affirmation par la force des reprises médiatiques.

Vol noir de corbeaux sur l’Open Data français

Vol noir de corbeaux sur l’Open Data français

Regards citoyens, association pionnière sur l'Open Data en France, réagit pour Owni aux deux articles très ...

La publication par Owni le jour même de l’écriture de ce billet nous épargne un fastidieux travail d’analyse des théories de développement des rumeurs avec les étapes de réduction et accentuation des propos. Owni pointe ainsi qu’Olivier Schrameck a soutenu en public la gratuité des données, ce qui laisse supposer la retranscription d’une phrase sortie de son contexte dans l’article à la base du florilège médiatique. Le gouvernement a par ailleurs répondu le 31 octobre par un communiqué affirmant le maintien du programme d’ouverture de données gratuites.

La question de la tarification des données ouvertes ne semble donc pas se poser, ce qui aurait pu être une bonne nouvelle si seulement ce débat n’avait déjà été tranché en 2011 par la circulaire du 26 mai instaurant le principe de gratuité par défaut des données publiques.

Pour irriguer le moulin des controverses, nous pouvons néanmoins ajouter qu’il n’y a toujours pas eu de positionnement du gouvernement sur la question de l’extension de la gratuité des données à celles encore facturées sans justification évidente. La stratégie Open Data française devrait être dévoilée en fin d’année.

Etalab, soluble dans la modernisation de l’action publique

Cette semaine a également été marquée par le départ de Séverin Naudet, jusque-là directeur de la mission Etalab en charge de l’ouverture des données interministérielles et de la plateforme nationale data.gouv.fr. Départ accompagné de l’abrogation de la mission Etalab par le Décret 2012-1198 du 30 octobre 2012 portant création du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.

Certains ont voulu y voir la fin de la mission Open Data du gouvernement. Celui-ci a pourtant indiqué maintenir le programme d’ouverture des données en plaçant l’Open Data sous la tutelle du nouveau service de modernisation de l’action publique. Nous avons déjà expliqué que nous souhaitions ce changement, sur notre blog ici et . Ce remaniement était attendu et semble parfaitement opportun car pour envisager un développement ambitieux de l’Open Data en France :

• Il est nécessaire de développer l’harmonisation des pratiques et standards de données par la collaboration ;
• Il est donc nécessaire d’avoir une mission nationale enfin fédératrice ;
• Il est nécessaire d’organiser les espaces d’échanges et de mutualisations pour le développement des initiatives ;
• Il est donc nécessaire que la mission ne s’attache plus uniquement à sa propre ouverture mais également à une stratégie de développement national ;
• Il est nécessaire de sortir les démarches d’ouverture d’une seule logique de publication de données en ligne ;
• Il était donc nécessaire d’intégrer l’Open Data au sein d’une stratégie globale de modernisation de l’action publique en lien avec les systèmes d’information et de la communication.
Pourquoi l’avenir sera open(data)

Pourquoi l’avenir sera open(data)

A partir de quand les données publiques le sont-elles vraiment ? LiberTIC présente le panorama des villes en pointes sur ...

En rattachant l’Open Data, jusque-là élément expérimental isolé, à la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique, la France se donne les moyens de développer une stratégie globale, transversale et cohérente afin d’assurer la diffusion des pratiques.

L’objet du nouveau secrétariat général n’est pas sans rappeler les objectifs de la gouvernance ouverte avec ses notions d’évaluation et modernisation de l’action publique, ce qui procure l’avantage de proposer enfin une stratégie au-delà de la seule publication de données. Nous avions d’ailleurs appelé à ce repositionnement il y a presque un an.

Et malgré cet acte nécessaire à la pérennité de l’Open Data, des dérives politiques ont favorisé le relais de la fausse information sur la fin de l’Open Data en France, provoquant le déchaînement des réseaux. L’UMP publiait ainsi que “le gouvernement décide de diluer la politique de transparence et d’ouverture des données publiques (Open Data) engagée par Nicolas Sarkozy et François Fillon” invitant à considérer la fin de l’Open Data pour une actualité qui pourrait au contraire en marquer le début.

Les critiques récemment relayées semblent donc injustifiées et occultent les vraies questions. Il serait peu ambitieux de focaliser les débats sur la gratuité ou le statut d’Etalab et de s’estimer bienheureux d’en voir la continuité assurée. Aujourd’hui les attentes sont passées à un stade supérieur et parmi tous les enjeux (en terme de qualité, quantité, dispositifs autour des données, etc)… nous pouvons évoquer plus assurément un questionnement sur une volonté politique de l’extension des données ouvertes.

Le risque de tartufferie

Si ces derniers remaniements semblent de bon augure pour la pérennité des démarches, il serait encore prématuré d’y associer l’existence d’une réelle ambition pour faire de l’Open Data un levier de changement. Pour preuve, les conflits liés aux données fermées se multiplient et l’absence de soutien politique pour l’extension de l’ouverture à des données d’intérêt général, ou permettant réellement de rendre compte de l’action publique risque de confiner le mouvement français à une logique de publication de données gadgets.

Un premier sujet de déception porte sur la position du ministère de la Culture qui s’est récemment déclaré “favorable à l’ouverture des données culturelles dans un cadre d’exception“. Entendez : oui à l’Open Data, mais sans toucher au cadre juridique actuel qui confère aux données culturelles le pouvoir de se soustraire à l’obligation d’ouverture.

Dans cette réponse publique à l’Assemblée Nationale, le ministère de la Culture et de la Communication rappelle qu’il participe très activement aux négociations européennes sur la révision de la directive portant sur la réutilisation des informations publiques. Il s’y est même montré favorable à l’élargissement du champ de la réutilisation des données aux musées, archives et bibliothèques, “dans la mesure où un régime spécifique leur serait appliqué”. Ce qui, une fois traduit en Open Data, revient à confirmer un lobbying français en faveur de l’exclusion des données culturelles du champ du droit d’accès à l’information publique en Europe.

Dans le domaine de la culture, le nouveau gouvernement semble donc être aussi peu disposé que l’ancien à faire preuve de volontarisme.

Une police bien gardée

Courir après les policiers municipaux

Courir après les policiers municipaux

La transparence et l'ouverture des données (Open Data) sont des priorités pour nos administrations. À priori. Nous ...

Une autre source de questionnement quant à une volonté politique réelle sur l’extension de l’ouverture de données : une cartographie d’Owni qui identifie les préfectures ayant accepté de fournir aux journalistes l’effectif des polices municipales locales. Si la carte semble s’être enrichie depuis la parution de l’article, on y constate que de nombreuses préfectures refusent encore de fournir leurs informations publiques.

Les villes et régions engagées dans des procédures d’ouverture de données n’ont pas de préfectures plus collaboratives que les autres. La Préfecture de Paris, qui a le mérite d’être la seule engagée dans une démarche Open Data, se cantonne malheureusement à publier la localisation des fourrières et commissariats et n’aurait, selon la carte, pas transmis les informations sollicitées par Owni.

Même constat de rétention pour la Préfecture de Loire-Atlantique dont tous les niveaux de collectivités sont pourtant engagés dans l’ouverture de données avec un portage politique.

Tartufferie Open Data : posture de communication sur la transparence tout en faisant entrave au droit d’accès à l’information publique. Cette définition est probablement applicable à toutes les administrations engagées dans l’Open Data. Il va manquer quelques actes aux paroles pour convaincre d’un changement d’orientation.

L’accès aux soins pour les plus démunis d’information

D’autres domaines semblent également confirmer un manque de volonté politique sur l’Open Data. À quelques semaines d’intervalle, deux services se sont vus interdire l’usage d’informations liées à la santé. S’il s’agit parfois d’informations pouvant sortir du cadre du droit à la réutilisation, ces deux événements interpellent néanmoins sur la nécessité d’un questionnement des pratiques de services publics qui ne sont, de toute évidence, pas à l’avantage des usagers.

Fourmisanté, lauréate du concours Open Data national Dataconnexions, réutilisait des informations publiques disponibles sur le site Ameli, géré par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Salariés (Cnams). Le projet : développer un service permettant aux internautes de comparer les tarifs de consultation des médecins généralistes et des spécialistes sur une localité. Objectif : favoriser la diffusion d’information sur le coût de la santé afin de permettre à chacun de faire de meilleurs choix et des économies.

Le site a dû fermer son comparateur de tarifs médicaux après une mise en demeure de la Cnams.

Un cas similaire de demande d’accès à ces informations avait déjà été traité par la Cada qui confirme la nature publique des informations sollicitées, tout en précisant que la liste des médecins comporte des informations à caractère personnel qui ne sauraient entrer dans le cadre d’une communication sans anonymisation malgré le fait que l’information soit effectivement disponible en ligne.

Pour rappel, il est possible de réutiliser des données à caractère personnel (tels que le nom et numéro de téléphone d’un médecin ou autres professions libérales) s’il y a eu consentement de diffusion. Il serait possible de transposer ce droit aux usages externes mais ce n’est pas l’objectif de la Cnams qui s’offusque selon Rue89 que les données présentes sur le site Ameli-Direct, “résultat d’investissement financier, matériel et humain substantiels” (ceux des services de l’État, donc), soient utilisées par fourmisante.com

Les commentaires des internautes sur l’article en disent d’ailleurs long sur le chemin culturel qu’il reste à parcourir pour rendre présentable la notion de réutilisation d’informations publiques en France, pourtant créatrice d’emplois notamment sur le projet Fourmisanté. La médiatisation de l’affaire a finalement poussé Marisol Touraine, Ministre de la Santé, à s’exprimer sur le sujet en ces termes selon Politis : “Il revient aux pouvoirs publics de rassembler ces informations sur les hôpitaux, pour les rendre plus accessibles et plus transparentes”.

“Aux pouvoir publics.”

Entreprises-créatrices d’emploi, certes mais entreprises avant tout : non gratae. Ce qui remet en question l’argument avancé de développement de l’innovation sur des données publiques lorsque de toute évidence cela reste perçu comme un dommage collatéral. Pourtant à travers la charte de déontologie signée par les ministres, chacun d’entre-eux s’engageait à développer transparence mais également mise à disposition des données. Tant que les intentions ne seront pas suivies par des actes, tous les doutes restent permis sur l’existence d’une réelle volonté politique.

Ce différend est rendu public le jour même où démarrent des négociations entre l’assurance maladie, les syndicats de médecins libéraux et les mutuelles complémentaires santé, pour tenter d’encadrer les dépassements d’honoraires médicaux. On estime entre 300 et 400 le nombre de médecins qui pratiquent des honoraires “hors normes” soit jusqu’à dix fois le tarif sécu. Et plusieurs milliers de médecins ont des dépassements qui posent des problèmes concrets pour l’accès aux soins. Reste, dans cette jungle tarifaire, à comprendre pourquoi la Sécurité sociale ne fait pas tout pour faciliter l’accès des assurés à une comparaison des montants des honoraires. (Source)

Il semble que l’usage de données d’utilité publique comme moyen de pression et de négociation par certains corporatismes se fasse aujourd’hui avec le consentement des pouvoirs publics et au détriment des citoyens et usagers. Le constat est applicable à d’autres acteurs de la santé. Lire à ce sujet le pamphlet de la directrice de Fourmisanté qui dénonce un scandale français sur l’accès à l’information santé, devenu marronnier des médias par manque d’action politique.

Feu Dentistedegarde.net était un service santé basé sur des informations publiques devenues inaccessibles. Le service disponible pour la Loire-Atlantique proposait d’accéder aux coordonnées du dentiste de garde le plus proche en cas d’urgence. Il intégrait également les données ouvertes de Nantes Métropole pour offrir aux Nantais un calculateur d’itinéraire intégré. Le CHU de Nantes renvoyait vers ce service depuis son site internet et dentistedegarde.net a reçu plus de 18 000 visites en moins d’un an. Selon les développeurs, des dentistes allaient jusqu’à mettre à jour leurs coordonnées via le site, conduisant à l’enrichissement de la base.

Un partenariat entre l’ordre des chirurgiens-dentistes de Loire-Atlantique et les développeurs permettait à ces derniers d’obtenir les informations sur les gardes en amont de la mise en place (pour adapter leur service) et en échange ils enrichissaient la base fournie avec la liste des numéros de téléphones de dentistes qui n’étaient pas renseignés initialement. Chacun y trouvait donc son compte.

En octobre dernier, l’ordre de Loire-Atlantique a indiqué aux développeurs qu’ils devaient cesser de fournir la liste des gardes pour la fin d’année 2012. Dans un article de 20minutes, il est en effet rappelé que le remaniement dans la diffusion des gardes a été demandé au niveau national et par le ministère de la Santé afin d’organiser une redirection générale vers le Samu pour qu’il procède à l’orientation des patients auprès des praticiens ou hôpitaux selon les besoins.

Face à ce constat, les développeurs n’ont pas jugé utile de renouveler les domaines et hébergements du site qui devaient être reconduits en octobre. Le service n’est donc plus disponible en ligne.

Paradoxalement, Jérôme Mousseau, Président de l’ordre départemental, explique dans une interview sur Radio SUN que cette volonté de remaniement dans le traitement des informations répond à un manque d’informations sur le service de garde. “Beaucoup de gens ne savent pas qu’il y a un service de garde tous les dimanches matins et tous les matins des jours fériés”. On ne comprend pas bien comment supprimer l’information en ligne et la cantonner au 15 permettra au public de mieux prendre connaissance de l’existence de ces services.

Autre bémol à la stratégie : tout le monde n’appelle pas le 15 avant de se déplacer. Les infirmières du CHU de Nantes affirment que des patients qui auraient dû être orientés vers des praticiens finissent par engorger les urgences. Le système 15 focalise finalement l’effort sur le SAMU inondé d’appels de simple informations sur la localisation des gardes et sur les services hospitaliers tenus de gérer les cas des praticiens.

En 2009, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, disait vouloir mettre 10 millions d’euros sur la création d’une plate-forme internet et téléphonique visant à désengorger les centres 15. L’objectif du projet, qui n’a finalement pas été mis en œuvre, était de faciliter l’accès à l’information par un dispositif spécifique plutôt que de faciliter sa dissémination à moindre coût. La mode était et semble rester à une gestion centralisée et à l’information téléphonique.

Mathieu Le Gac-Olanié, créateur de dentistedegarde.net regrette :

La suppression de notre service va vers une plus grande concentration des appels vers le 15 ou un passage direct aux services hospitaliers sans orientation. Notre service gratuit et accessible à tous proposait pourtant d’offrir une première information en répondant aux questions telles que le numéro des gardes. Il était facilement possible de rajouter une mention invitant à appeler le 15 avant tout déplacement.

Dans l’interview sur Radio SUN, l’ordre des chirurgiens-dentistes justifie le contrôle de la diffusion de l’information par une question de sécurité des praticiens dans un domaine “très féminisé”. Cela semble paradoxal avec la volonté de promouvoir l’existence des gardes d’urgence auprès du grand public mais nous pourrions entendre l’argument sécuritaire s’il ne perdait de la crédibilité au constat que les services publics eux-mêmes ont parfois des difficultés à accéder à l’information des gardes (des dentistes comme des pharmaciens). Il y a donc un réel problème de diffusion et accès des informations aux services d’urgence, au détriment même des services publics et des usagers.

Son : Radio SUN (93.0 FM)

La mise à disposition d’informations en ligne reste une solution négligée et synonyme de perte d’un contrôle toujours plus illusoire lorsque l’on pourrait au contraire explorer les pistes des nouvelles pratiques numériques pour tenter de résoudre des problèmes d’utilité publique.

Serons-nous tartuffés ?

L’Open Data payant s’ouvre à la gratuité des débats

L’Open Data payant s’ouvre à la gratuité des débats

Monétiser les données publiques : le débat a ressurgi après l'annonce la semaine d'une réflexion menée dans ce sens. Un ...

S’il est encore trop tôt pour discuter de la stratégie Open Data du gouvernement, qui semble cependant se donner les moyens de pérenniser les actions, les quelques éléments de réponse et non-réponse des nouveaux dirigeants politiques sur les conflits d’accessibilité aux données pouvant provoquer débat ou interprétation semblent refléter une position résolument conservatrice. Il serait donc légitime de se demander si nous allons continuer d’assister à de l’Open Data gadget qui ne libère que les informations accessibles par ailleurs.

Toutes les données ne sont pas bonnes à ouvrir largement mais pour celles considérées publiques, la loi garantit devrait garantir qu’elles soient accessibles à tous. Pour certaines données essentielles parfois hors-cadre du droit d’accès à l’information, une réflexion s’impose sur leur requalification. Des données dans le domaine de la santé, de la sécurité, de la culture et des finances sont notamment concernées. Des données des administrations mais également d’entreprises, associations et autres organismes qui détiennent aujourd’hui des informations d’utilité publique. Cela implique l’affirmation politique d’une volonté d’extension de l’ouverture.

Dans un contexte de forte pression fiscale et d’efforts demandés aux Français, il paraît d’autant plus essentiel d’assurer la transparence de l’action publique et de garantir une action de qualité orientée vers l’usager. Une réflexion est donc indispensable pour définir le cadre de l’extension de l’ouverture et le délimiter.

Si l’Open Data ne devait libérer que des données consensuelles, sans remettre en question certaines pratiques, nous passerions à côté des objectifs et opportunités de ce projet social. Or cela requiert du volontarisme politique qui fait encore cruellement défaut.


Photos sous licences Creative Commons par Pulpolux, JFPhoto, Sharon Drummond et Kicki
Billet initialement publié sur LiberTIC en Creative Commons et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.

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Sandy, histoire vraie images fausses http://owni.fr/2012/11/01/sandy-histoire-vraie-images-fausses/ http://owni.fr/2012/11/01/sandy-histoire-vraie-images-fausses/#comments Thu, 01 Nov 2012 11:30:58 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=124658 L’ouragan Sandy, rapidement rebaptisé Frankenstorm, a atteint New York avant-hier, y causant aussitôt une dizaine de morts. Le quotidien Libération a alors publié un article titré Sandy touche terre et fait ses premières victimes, ce qui semble un peu léger, puisqu’avant d’atteindre la côte Est des États-Unis, le cyclone a tout de même fait au moins soixante-quinze morts dans les Caraïbes, dont cinquante sur la seule île d’Haïti.

Frankenstorm menaçant New York / une tempête dans le Nebraska, photographiée par Mike Hollingshead.

Le cliché ci-dessus à gauche, qui représente l’ouragan en train de menacer New York a été partagé plus d’un demi-million de fois sur Facebook. Beaucoup, y compris parmi ceux qui ont diffusé cette image, ont eu des doutes sur sa véracité, notamment puisqu’il anticipait sur les évènements. Vérification faite, il s’agissait bien d’un montage entre une vue classique de la statue de la liberté et une tempête de 2004 dans le Nebraska.

Cela m’a rappelé un cas sur lequel je suis tombé en préparant mon livre. Une agence d’images sérieuse proposait à la vente une photographie impressionnante censément prise à Haïti il y a deux ans, où l’on voyait des palmiers noyés par une vague géante [ci-dessous]. Jolie image, mais qui me posait un problème car il n’y a pas eu de tsunami en Haïti en 2010. Alors j’ai fait quelques recherches…

Vérification faite, la photographie en question s’avère être un recadrage et une colorisation d’un cliché pris à Hawaïi en 1946 par Rod Mason, un simple amateur qui se trouvait alors directement menacé par le tsunami Hilo, qui a causé en son temps la mort de cent soixante personnes. Un photographe indélicat avait vendu à l’agence cette image ancienne, qui ne lui appartenait pas, remixée en tant que photographie d’actualité récente.

Revenons à Sandy. Plusieurs montages faciles à identifier ont été réalisés en incrustant des titres d’actualité à des captures issues des films-catastrophe de Roland Emmerich : Independance Day (1996), The Day After Tomorrow (2004) et 2012 (2009), ou encore en utilisant des images du film coréen The Last Day (2009).

Les titres d’actualité de Fox News incrustés sur une image issue du film The Day After Tomorrow.

Parmi les images qui ont beaucoup circulé, on a aussi pu voir un certain nombre de photographies de requins circulant dans les villes inondées. Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de requins aussi haut qu’à New York à la fin du mois d’octobre, ces animaux n’aimant pas les eaux froides, mais l’idée du requin qui se balade dans le jardin est délicieusement effrayante.

Parmi les images très populaires, il y a aussi eu celle de ce restaurant McDonald’s inondé :

…Il s’agit en fait d’un photogramme extrait d’un film réalisé en 2009 par les artistes danois Superflex et intitulé Flooded McDonald’s, c’est à dire littéralement McDonald’s inondé.

Toutes ces images, déjà factices ou sorties de leur contexte ont assez rapidement suscité des parodies, bien sûr.

L’image ci-dessus à gauche cumule diverses menaces de cinéma : Godzilla, le requin géant des dents de la mer ou de Shark attack, des soucoupes volantes, le marshmallow man du film Ghostbusters. On retrouve aussi Godzilla derrière la statue de Neptune de Virginia Beach.

Dès que l’on parle de catastrophe à New York, comment se retenir de penser au cinéma ? Le problème s’était déjà posé le 11 septembre 2001. Nous avons vu cette ville si souvent détruite : Godzilla (1998), La guerre des mondes (2005), Cloverfield (2008), Avengers (2012),…

Parmi les images de reportage qui ont été produite par des photographes professionnels pour des médias d’information, on en trouve beaucoup qui elles aussi semblent s’adresser à notre imaginaire de cinéphile plus qu’autre chose :

Haut : Bebeto Matthews. Bas : Andrew Burton.

Composition soignée, éclairage dramatique, couleurs étudiées, ces photos sont belles avant d’être informatives, et ont sans doute été retouchées dans ce but.

Quant aux photos d’amateurs, elles sont encore plus troublantes, car beaucoup ont envoyé sur Facebook ou Twitter des témoignages parfois dramatiques de ce qu’ils voyaient, mais modifiés par les filtres fantaisistes d’Instagram :

Des reportages amateurs publiés à l’aide d’Instagram par (de haut en bas et de gauche à droite) Caroline Winslow, @le_libron, @bonjomo et Jared Greenstein.

Ces images prises avec des téléphones portables se voient donc appliquer des couleurs rétro, passées, ou d’autres effets censés rappeler la photographie argentique.

Finalement, les seules images qui semblent un tant soit peu objectives, ce sont celles qui sont prises par des caméras de surveillance ou des webcams :

Je ne suis pas sûr qu’il rimerait à quelque chose de faire des statistiques pour le vérifier, mais il semble que la très grande majorité des images que nous recevions de l’ouragan Sandy et de ses effets sur la côte Est des États-Unis, une histoire “vraie”, soient des images “fausses”, c’est-à-dire qui s’écartent sciemment de l’illusion du témoignage objectif : montages, retouches, images d’archives, images d’actualité ayant l’apparence de photos d’archives, pastiches, images extraites de films. Et il n’est pas forcément question de tromperie, puisque c’est le public, par les réseaux sociaux, qui sélectionne les images qui circulent, qui les diffuse et, parfois, qui les crée.

C’est le public aussi qui effectue des enquêtes sur les images et qui fait ensuite circuler en pagaille des démentis (parfois douteux ou incomplets) pour signaler que telle image est ancienne et que telle autre est falsifiée. Le public n’est pas forcément désorienté, pas dupe de la confusion, il y participe sciemment, peut-être suivant l’adage italien se non è vero è bene trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé.

La question n’est donc peut-être pas de chercher à transmettre une vérité sur ce qu’il se passe à New York, mais juste de répondre à un évènement par des images et donc, par un imaginaire.


Article publié à l’origine sur le blog de Jean-Noël Lafargue, Hyperbate.

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Au front de la révolution du droit d’auteur ! http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/#comments Thu, 02 Aug 2012 09:56:04 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=117410

Le rejet d’ACTA par le Parlement européen, tout comme la mise en échec en début d’année de la loi SOPA aux États-Unis, obtenus grâce à une mobilisation citoyenne sans précédent, constituent à l’évidence deux grandes victoires. Mais leur portée reste limitée, car il s’agissait essentiellement de batailles défensives, menées par les défenseurs des libertés numériques et de la culture libre pour barrer la route à des projets liberticides.

Néanmoins, ces succès créent une opportunité politique pour passer de la défensive à l’offensive, en proposant une refonte globale du système du droit d’auteur et du financement de la création.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans cette perspective, la Quadrature du Net vient de publier un document de première importance, préparé par Philippe Aigrain et intitulé “Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées“. Il est disponible ici sur le site de la Quadrature, sur le blog de Philippe Aigrain et vous pouvez le télécharger en version pdf également.

Articulé en 14 points représentés sur le schéma ci-dessous, ce texte couvre de nombreuses problématiques liées à la question de la création dans l’environnement numérique, aussi bien dans sa dimension juridique qu’économique et technique.

Légalisation du partage non-marchand entre individus

La clé de voûte de ce projet consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus d’œuvres protégées, considéré comme une pratique légitime et utile pour la vie culturelle et la création. La légalisation du partage s’opère par le biais d’une extension de la théorie de l’épuisement des droits, qui nous permettait déjà d’échanger ou de donner des supports d’œuvres protégées dans l’environnement matériel (livres, CD, DVD, etc) :

L’approche alternative consiste à partir des activités qui justifiaient l’épuisement des droits pour les œuvres sur support (prêter, donner, échanger, faire circuler, en bref partager) et de se demander quelle place leur donner dans l’espace numérique. Nous devons alors reconnaître le nouveau potentiel offert par le numérique pour ces activités, et le fait que ce potentiel dépend entièrement de la possession d’une copie et de la capacité à la multiplier par la mise à disposition ou la transmission.

L’épuisement des droits va ainsi être défini de façon à la fois plus ouverte et plus restrictive que pour les œuvres sur support. Plus ouverte parce qu’il inclut le droit de reproduction, plus restrictive parce qu’on peut le restreindre aux activités non marchandes des individus sans porter atteinte à ses bénéfices culturels.

Ce versant juridique de la légalisation du partage s’accompagne d’un versant économique, dans la mesure où cette extension de l’épuisement du droit d’auteur va de pair avec la création de nouveaux droits sociaux à la rémunération pour ceux qui contribuent à la création.

Contribution créatrice

Cet aspect des propositions de Phillipe Aigrain est particulièrement intéressant et il recoupe les modèles que l’auteur avait déjà exposé dans son ouvrage Sharing : Culture and The Economy in The Internet Age. En lieu et place de la licence globale, modèle alternatif de financement décrié à la fois par les représentants des industries culturelles et ceux de la Culture libre, le document propose plusieurs pistes de financement, dont la principale consiste en la mise en place d’une contribution créative, constituée par un prélèvement forfaitaire par foyer connecté à Internet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

D’autres mécanismes économiques sont envisagés comme le financement participatif en amont de la création (crowdfunding) ou encore le revenu minimum d’existence inconditionnel. Par ailleurs, des propositions complémentaires visent à réformer en profondeur la gestion collective, les financements publics culturels et la fiscalité du numérique.

Dépassant les aspects économiques, le document se penche également sur les conditions de possibilités techniques garantissant que les échanges puissent s’exercer librement dans un tel système, sans que des acteurs manœuvrent pour acquérir une position dominante par d’autres biais. La légalisation du partage se limite strictement aux échanges non marchands entre individus pour éviter le retour de monstruosités centralisant les fichiers et l’attention comme MegaUpload. Le document se prononce logiquement en faveur de la défense du principe de neutralité du Net, mais aussi pour l’interopérabilité et l’ouverture des appareils type smartphones ou tablettes, ainsi que pour la mise en place d’une taxation de la publicité en ligne qui évitera que des acteurs comme Google ou Facebook ne puissent dévoyer les mécanismes de l’économie de l’attention à leur profit.

La neutralité du Net en une image

Mais le document ne s’arrête pas là et il balaye tout un ensemble de problématiques qui me paraissent particulièrement importantes et qui ont beaucoup retenu mon attention sur S.I.Lex depuis des années. J’ai déjà écrit à plusieurs reprises (ici ou ) pour démontrer qu’il existe un lien direct entre la légalisation du partage non marchand et la défense des usages collectifs, ainsi qu’avec la place des institutions culturelles comme les bibliothèques dans l’accès à la culture et à la connaissance. J’ai aussi alerté à de nombreuses reprises sur le fait que le maintien de la guerre au partage, telle qu’elle se manifeste en France par exemple à travers le mécanisme de la riposte graduée instauré par la loi Hadopi, faisait peser sur les lieux d’accès publics à Internet de graves menaces (ici ou ).

Usages collectifs

Si le cœur du modèle de Philippe Aigrain porte sur les échanges entre individus, il est tout à fait sensible à l’importance des usages collectifs auxquels plusieurs points sont consacrés dans le document. On retrouve par exemple un point complet sur la nécessité de consacrer les pratiques éducatives et de recherche comme un véritable droit, par le biais d’une exception sans compensation.

Philippe Aigrain envisage également un rôle central dévolu aux bibliothèques en matière de diffusion des œuvres orphelines. Il prononce des critiques radicales à l’encontre des récentes lois sur le prix unique du livre numérique et sur la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle auxquelles les bibliothécaires français se sont opposés. Il propose également de doter le domaine public d’un statut positif afin de le protéger contre les atteintes à son intégrité, ainsi que de renforcer la dynamique de mise en partage des œuvres par le biais des licences libres.

Par ailleurs, Silvère Mercier et moi-même avons eu le grand honneur d’être invités à contribuer à ce document pour la partie intitulée “Liberté des usages collectifs non marchands” que je recopie ci-dessous :

A côté des usages non marchands entre individus, il existe des usages collectifs non marchands, qui jouent un rôle essentiel pour l’accès à la connaissance et pour la vie culturelle, notamment dans le cadre de l’activité d’établissements comme les bibliothèques, les musées ou les archives. Ces usages recouvrent la représentation gratuite d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public ; l’usage d’œuvres protégées en ligne par des personnes morales sans but lucratif ; la fourniture de moyens de reproduction à des usagers par des institutions hors cadre commercial ; et l’accès à des ressources numérisées détenues par les bibliothèques et archives.

A l’heure actuelle, ces usages collectifs s’exercent dans des cadres juridiques contraints, hétérogènes et inadaptés aux pratiques. Le préjugé selon lequel, dans l’environnement numérique, les usages collectifs nuiraient aux ventes aux particuliers ouvre un risque non négligeable que les titulaires de droits utilisent leurs prérogatives pour priver les bibliothèques de la possibilité de fournir des contenus numériques à leurs usagers. Dans un contexte où les échanges non marchands entre individus seraient légalisés, il serait pourtant paradoxal que les usages collectifs ne soient pas garantis et étendus.

A cette fin, les mesures suivantes doivent être mises en place :

  • Représentation sans finalité commerciale d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public : création d’une exception sans compensation, en transformant l’exception de représentation gratuite dans le cercle familial en une exception de représentation en public, hors-cadre commercial.
  • Usages en ligne non marchands d’œuvres protégées : les personnes morales agissant sans but lucratif doivent pouvoir bénéficier des mêmes possibilités que celles consacrées au profit des individus dans le cadre des échanges non marchands.
  • Fourniture de moyens de reproduction, y compris numériques, par des établissements accessibles au public à leurs usagers : ces usages doivent être assimilés à des copies privées, y compris en cas de transmission des reproductions à distance.

Enfin se pose la question importante du rôle des bibliothèques dans la mise à disposition (hors prêt de dispositifs de lecture) de versions numériques des œuvres sous droits et non-orphelines. Tout un éventail de solutions est envisageable depuis la situation où les bibliothèques deviendraient la source d’une copie de référence numérique de ces œuvres accessible à tous jusqu’à une exception pour leur communication donnant lieu à compensation.

Nouvelles taxes

À tous les bibliothécaires engagés et plus largement à tous les professionnels du secteur de l’information-documentation qui se sentent concernés par ces questions, je voudrais dire qu’il est temps à présent de régénérer les principes de notre action pour embrasser une vision plus large que celle qui a prévalu jusqu’à présent, notamment dans le cadre de l’action de l’IABD.

Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que les bibliothèques ne sont pas concernées par la question de la légalisation du partage non marchand. Il n’est pas possible non plus de continuer à se battre sur des sujets périphériques, comme les exceptions au droit d’auteur, sans s’associer à une refonte en profondeur du système de la propriété intellectuelle. Ces tactiques se cantonnent à l’écume des choses et elles manquent l’essentiel. Elles ont hélas conduit à des défaites tragiques, comme ce fut le cas avec la loi sur la numérisation des livres indisponibles. Il n’est plus question d’obtenir simplement un rééquilibrage du droit d’auteur dans l’environnement numérique, mais bien de le refonder à partir d’autres principes !

Les propositions qui figurent dans ce document doivent être défendues et portées au plus haut niveau lors de la consultation à venir sur l’acte II de l’exception culturelle, qui sera conduite dans le cadre de la mission Lescure. Les lobbies des industries culturelles sont déjà lourdement intervenus en amont afin que les questions essentielles ne soient pas posées lors de cette consultation. Les choses semblent courues d’avance et j’ai  déjà eu l’occasion de dénoncer le fait que l’on cherchera certainement à nous faire avaler la mise en place de véritables gabelles numériques. On voudra instaurer de nouvelles taxes sans consécration de droits au profit des usagers et sans même remettre en cause de la logique répressive qui est au cœur de la loi Hadopi !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Tous ceux qui s’intéressent aux libertés numériques et à l’avenir de la création sur Internet devraient s’emparer de ces propositions et les porter à l’attention des pouvoirs publics. Et il me semble que les auteurs et les créateurs devraient être les premiers à le faire.

Ils sont en effet de plus en plus nombreux à prendre conscience que le droit d’auteur a dérivé vers un système de rentes au profit d’intermédiaires qui ne sont plus à même de leur garantir les moyens de créer, ni même de vivre dignement. Les propositions de Philippe Aigrain sont essentiellement tournées vers les auteurs.  Le point n°7 porte par exemple sur la refonte des contrats d’édition, afin que les éditeurs ne soient plus en mesure de s’accaparer les droits numériques à leur profit, sans reverser une rémunération décente aux auteurs.

Une économie du partage

Plus largement, la contribution créative constitue une des seules pistes réalistes pour dégager les sommes suffisantes à la rémunération des créateurs, en sortant de la spirale infernale de la guerre au partage les dressant contre leur public. Elle vise à créer une véritable économie du partage, dont les créateurs seraient de nouveau les premiers bénéficiaires. Par ailleurs, l’une des vertus fortes de ce modèle, c’est d’envisager de rémunérer non seulement les auteurs professionnels, mais aussi la multitude des créateurs amateurs qui contribuent aujourd’hui sur Internet de manière déterminante à la vie de la culture et des idées.

La parole pour finir à Philippe Aigrain :

Le numérique porte la promesse de capacités culturelles accrues pour chacun, d’une nouvelle ère où les activités créatives et expressives sont au cœur même de nos sociétés. Dans un contexte souvent hostile, cette promesse montre chaque jour qu’elle est solide. Dans de nombreux domaines, la culture numérique est le laboratoire vivant de la création. Elle donne lieu à de nouveaux processus sociaux et permet le partage de ses produits. De nouvelles synergies se développent entre d’une part, les activités et la socialité numérique et, d’autre part les créations physiques et interactions sociales hors numérique. L’objectif d’une réforme raisonnable du droit d’auteur / copyright et des politiques culturelles ou des médias est de créer un meilleur environnement pour la réalisation de cette promesse. Comme toujours, il y a deux volets : arrêter de nuire au développement de la culture numérique et, si possible, la servir utilement.

En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans ce programme une cause porteuse de sens que je veux servir et qui vaut la peine que l’on se batte pour elle de toutes ses forces! Je le ferai en tant que citoyen, en tant que juriste, en tant qu’auteur numérique, mais aussi et surtout comme le bibliothécaire que je suis, attaché viscéralement à la diffusion du savoir et à la défense des biens communs !

Billet initialement publié sur le blog de Calimaq :: S.I.Lex :: sous le titre “Réforme du droit d’auteur et financement de la création : il est temps de passer à l’offensive !”

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JO 2012 © : cauchemar cyberpunk http://owni.fr/2012/07/30/jo-2012-bienvenue-en-dystopie-cyberpunk/ http://owni.fr/2012/07/30/jo-2012-bienvenue-en-dystopie-cyberpunk/#comments Mon, 30 Jul 2012 10:56:08 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=117286 À première vue, il y a assez peu de rapports entre les Jeux olympiques de Londres et les univers dystopiques du cyberpunk, tel qu’ils ont été imaginés à partir des années 80 dans les romans de William Gibson, de Bruce Sterling, de Philip K. Dick ou de John Brunner.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

À bien y réfléchir cependant, le dopage – dont le spectre rôde sans surprise toujours sur ces Jeux 2012 – est déjà un élément qui fait penser au cyberpunk, où les humains cherchent à s’améliorer artificiellement par le biais d’implants bioniques ou l’absorption de substances chimiques.

Mais c’est plutôt à travers la gestion des droits de propriété intellectuelle par le CIO que l’analogie avec le cyberpunk me semble la plus pertinente et à mesure que se dévoile l’arsenal effrayant mis en place pour protéger les copyrights et les marques liés à ces Jeux olympiques, on commence à entrevoir jusqu’où pourrait nous entraîner les dérives les plus graves de la propriété intellectuelle.

Une des caractéristiques moins connues des univers cyberpunk est en effet la place que prennent les grandes corporations privées dans la vie des individus. L’article de Wikipédia explicite ainsi ce trait particulier :

Multinationales devenues plus puissantes que des États, elles ont leurs propres lois, possèdent des territoires, et contrôlent la vie de leurs employés de la naissance à la mort. Leurs dirigeants sont le plus souvent dénués de tout sens moral. La compétition pour s’élever dans la hiérarchie est un jeu mortel.

Les personnages des romans cyberpunk sont insignifiants comparativement au pouvoir quasi-divin que possèdent les méga-corporations : ils sont face à elles les grains de sable dans l’engrenage.

Dans les univers cyberpunk, les firmes privées les plus puissantes ont fini par absorber certaines des prérogatives qui dans notre monde sont encore l’apanage des États, comme le maintien de l’ordre par la police ou les armées. Les corporations cyberpunk contrôlent des territoires et les employés qui travaillent pour elles deviennent en quelque sorte l’équivalent de “citoyens” de ces firmes, dont les droits sont liés au fait d’appartenir à une société puissante ou non.

Olympics Game Act

Pour les JO de Londres, le CIO est parvenu à se faire transférer certains droits régaliens par l’État anglais, mais les romanciers de la vague cyberpunk n’avaient pas prévu que c’est par le biais de la propriété intellectuelle que s’opérerait ce transfert de puissance publique.

Image de gauche : Des opposants aux Jeux qui détournent le logo officiel de l’évènement. Vous allez voir que ce n’est pas sans risque sur le plan juridique… | Image de droite : Des affiches protestant contre les restrictions imposées par le CIO sur le fondement du droit des marques.

Pour défendre ses marques et ses droits d’auteur, mais aussi être en mesure de garantir de réelles exclusivités à ses généreux sponsors comme Coca-Cola, Mac Donald’s, Adidas, BP Oil ou Samsung, le CIO a obtenu du Parlement anglais le vote en 2006 d’un Olympics Game Act, qui lui confère des pouvoirs exorbitants. L’Olympics Delivery Authority dispose ainsi d’une armada de 280 agents pour faire appliquer la réglementation en matière de commerce autour des 28 sites où se dérouleront les épreuves et le LOCOG (London Organizing Committee) dispose de son côté d’une escouade de protection des marques, qui arpentera les rues de Londres revêtue de casquettes violettes pour s’assurer du respect de l’Olympics Brand Policy. Ils auront le pouvoir d’entrer dans les commerces, mais aussi dans les “locaux privés”, et de saisir la justice par le biais de procédures d’exception accélérées pour faire appliquer des amendes allant jusqu’à 31 000 livres…

L’Olympics Game Act met en place une véritable police du langage, qui va peser de tout son poids sur la liberté d’expression pendant la durée des jeux. Il est par exemple interdit d’employer dans une même phrase deux des mots “jeux”, “2012″, Twenty Twelve”, “gold”, “bronze” ou “medal”. Pas question également d’utiliser, modifier, détourner, connoter ou créer un néologisme à partir des termes appartenant au champ lexical des Jeux. Plusieurs commerces comme l’Olympic Kebab, l’Olymic Bar ou le London Olympus Hotel ont été sommés de changer de noms sous peine d’amendes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’usage des symboles des Jeux, comme les anneaux olympiques, est strictement réglementé. Un boulanger a été obligé d’enlever de sa vitrine des pains qu’il avait réalisés en forme d’anneaux ; une fleuriste a subi la même mésaventure pour des bouquets reprenant ce symbole et une grand-mère a même été inquiétée parce qu’elle avait tricoté pour une poupée un pull aux couleurs olympiques, destiné à être vendu pour une action de charité !

Cette règle s’applique aussi strictement aux médias, qui doivent avoir acheté les droits pour pouvoir employer les symboles et les termes liées aux Jeux. N’ayant pas versé cette obole, la chaîne BFM en a été ainsi réduite à devoir parler de “jeux d’été” pour ne pas dire “olympiques”. Une dérogation légale existe cependant au nom du droit à l’information pour que les journalistes puissent rendre compte de ces évènements publics. Mais l’application de cette exception est délicate à manier et le magazine The Spectator a été inquiété pour avoir détourné les anneaux olympiques sur une couverture afin d’évoquer les risques de censure découlant de cet usage du droit des marques. Cet article effrayant indique de son côté que plusieurs firmes anglaises préfèrent à titre préventif s’autocensurer et dire “The O-word” plutôt que de se risquer à employer le terme “Olympics“. On n’est pas loin de Lord Voldemort dans Harry Potter, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Dire-Le-Nom !

Censure

Le dérapage vers la censure, le CIO l’a sans doute déjà allègrement franchi. Le blog anglais Free Speech rapporte que les comptes Twitter d’activistes protestant contre la tenue des Jeux à Londres ont été suspendus suite à des demandes adressées à Twitter, parce qu’ils contenaient dans leur nom les termes JO 2012. Des moyens exceptionnels de police ont aussi été mis en place pour disperser les manifestations et patrouiller dans plus de 90 zones d’exclusion. Plus caricatural encore, il n’est permis de faire un lien hypertexte vers le site des JO 2012 que si l’on dit des choses positives à leurs propos ! Même Barack Obama et Mitt Romney ont été affectés par la police du langage du CIO, qui a exigé pour violation du copyright que des vidéos de campagne faisant allusion aux JO soient retirées…

Pour les spectateurs qui se rendront dans les stades, le contrôle sera plus drastique encore et ils seront liés par des clauses contractuelles extrêmement précises, détaillées sur les billets d’entrée. Ces mesures interdisent par exemple de rediffuser des vidéos ou des photos sur les réseaux sociaux, afin de protéger les exclusivités accordées aux médias et là encore, des cellules de surveillance ont été mises en place pour épier des sites comme Twitter, Facebook, YouTube, Facebook ou Instagram.

Image de droite : Tatouage cyberpunk, mais l’athlète avec la marque d’une firme sur le bras n’est pas encore plus représentatif de ce courant de la Science Fiction ?

Les règles des jeux dicteront également aux spectateurs jusqu’à ce qu’ils doivent manger. Impossible par exemple d’échapper aux frites de Mac Donald’s dans les lieux où se dérouleront les épreuves, ce dernier ayant obtenu une exclusivité sur ce plat, sauf comme accompagnement du plat national des fish’n chips pour lequel une exception a été accordée ! La propriété intellectuelle dictera également la manière de s’habiller, les autorités olympiques ayant indiqué qu’on pouvait tolérer que les spectateurs portent des Nikes alors qu’Adidas est sponsor officiel, mais pas qu’ils revêtent des T-Shirts Pepsi, dans la mesure où c’est Coca-Cola qui a payé pour être à l’affiche ! Pas le droit non plus d’apporter des routeurs 3G ou WiFi sous peine de confiscation : British Telecom a décroché une exclusivité sur l’accès WiFi et les spectateurs devront payer (mais uniquement par carte Visa, sponsor oblige !).

On pourrait encore multiplier ce genre d’exemples digne de Kafka, mais la démonstration me semble suffisamment éloquente. Ces Jeux de Londres nous font pleinement entrer dans l’âge cyberpunk. Un formidable transfert de puissance publique vers des firmes privées a été réalisé, en utilisant comme levier des droits de propriété intellectuelle. On mesure alors toute la force des “droits exclusifs” attachés aux marques et au copyright, dès lors qu’ils s’exercent ainsi de manière débridée, dans un environnement saturé de signes et de logos. Le Tumblr OpenOlymPICS documente la manière dont la ville de Londres s’est transformée avec l’évènement et comment les lieux se sont couverts d’allusion aux JO : ce sont autant de “marques” qui donne prise au pouvoir du CIO sur l’espace.

Cette propriété privée aboutit en fait bien à “priver” les citoyens de leurs libertés publiques pour les soumettre à la loi des corporations. Grâce à ces droits, ce sont des biens publics essentiels comme les mots du langage, l’information, l’espace urbain, les transports en commun, la gastronomie, les codes vestimentaires qui sont “privatisés”.

Au-delà d’ACTA ou de SOPA

Le déclic qui m’a le plus fortement fait penser à l’univers cyberpunk, je l’ai eu lorsque nous avons appris qu’un athlète avait décidé de louer son épaule pour faire de la publicité sauvage pour des marques n’ayant pas versé de droits aux CIO par le biais d’un tatouage. Ce coureur a mis son propre bras aux enchères sur eBay et il s’est ainsi offert à une agence de pub’ pour 11 100 dollars. On est bien ici dans la soumission d’un individu à une corporation et elle passe comme dans les romans cyberpunk par des modifications corporelles qui inscrivent cette vassalité dans la chair !

Ces dérives sont extrêmement graves et elles dessinent sans doute les contours d’un avenir noir pour nos sociétés. Au cours de la lute contre ACTA, SOPA ou PIPA, l’un des points qui a attiré le plus de critiques de la part des collectifs de lutte pour la défense des libertés était précisément le fait que ces textes transféraient à des opérateurs privés (FAI ou titulaires de droits) des pouvoirs de police pour faire appliquer les droits de propriété intellectuelle. C’est exactement ce que la Quadrature du net par exemple reprochait au traité ACTA, dans cette vidéo Robocopyright ACTA, qui détournait d’ailleurs un des films emblématiques de la culture cyberpunk.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce que le CIO a obtenu du gouvernement britannique dépasse très largement tout ce qui figurait dans ACTA ou SOPA en termes de délégation de puissance publique. J’ai encore du mal à le croire, mais dans cet article, on apprend même que le Ministre de la défense britannique prévoyait, à la demande des autorités olympiques, d’installer des batteries de missiles sur des toits d’immeubles d’habitation pour protéger des sites olympiques d’éventuelles attaques terroristes. Si ça, c’est pas cyberpunk !

manifestation anti Jeux olympiques2012

Olympics 2012 London Missile Protest. Par OpenDemocraty. CC-BY-SA. Source : Flickr

“D’une dictature ou d’un pays ultralibéral“

Dans un article paru sur le site du Monde, Patrick Clastre, un historien spécialisé dans l’histoire des Jeux indique que le degré de contrôle n’a jamais été aussi fort que pour ces Jeux à Londres, bien plus en fait qu’il ne le fut à Pékin en 2008. Il ajoute que pour imposer ce type de règles, le CIO a besoin “d’une dictature ou d’un pays ultralibéral“.

Cette phrase est glaçante.

Imaginez un instant qu’un parti politique par exemple ait la possibilité de contrôler les médias, de mettre en œuvre une censure, de lever une police privée, de faire fermer des commerces, d’imposer à la population des règles concernant la nourriture et l’habillement, etc. Ne crierait-on pas à la dérive fascisante et n’aurait-on pas raison de le faire ? Le niveau de censure et de contrôle exercé en ce moment à Londres est-il si différent de celui qui pesait sur les populations arabes avant leurs révolutions ?

Doit-on faire deux poids, deux mesures parce que des firmes et des marques sont en jeu plutôt qu’un parti ? En ce sens, je vois un certain parallèle entre ces jeux de Londres de 2012 et les funestes jeux de Berlin de 1936. On dira peut-être que je marque un point Godwin, mais en termes d’atteinte aux libertés publiques, est-on vraiment si éloigné de ce qui se passait en Allemagne durant l’entre-deux-guerres ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La semaine dernière, Jérémie Nestel du collectif Libre Accès a écrit un billet extrêmement fort, intitulé “la disparition des biens communs cognitifs annonce une société totalitaire“. J’étais globalement d’accord avec son propos, même si je trouvais l’emploi du terme “totalitaire” contestable. Mais cet article comporte les passages suivants, qui font directement écho aux dérapages juridiques des Jeux olympiques :

La volonté des multinationales de privatiser les biens communs cognitifs est une atteinte à la sphère publique. La sphère publique, jusqu’à présent désignée comme un espace ouvert accessible à tous, au sein duquel on peut librement circuler, peut s’étendre aux espaces cognitifs. [...]

Empêcher la transformation d’une œuvre, et crèer artificiellement une frontière au sein « des espace communs de la connaissance » est un acte propre à une société totalitaire.

Les règles mises en place par le CIO pour protéger ses droits de propriété intellectuelle portent gravement atteinte à la sphère publique et elles aboutissent à la destruction de biens communs essentiels. Hannah Arendt explique très bien que le totalitarisme opère en détruisant la distinction entre la sphère publique et la sphère privée. Dans le cas des fascismes d’entre-deux-guerres ou du stalinisme, c’est la sphère publique qui a débordé de son lit et qui a englouti la sphère privée jusqu’à la dévorer entièrement.

Les dérives de la propriété intellectuelle que l’on constate lors de ces Jeux olympiques fonctionnent en sens inverse. C’est cette fois la sphère privée qui submerge l’espace public et le détruit pour le soumettre à sa logique exclusive. L’effet désastreux sur les libertés individuelles est sensiblement identique et c’est précisément ce processus de corruption qu’avaient anticipé les auteurs du cyberpunk, avec leurs corporations souveraines.

À la différence près qu’ils n’avaient pas imaginé que ce serait la propriété intellectuelle qui serait la cause de l’avènement de ce cauchemar…

En France aussi

Ne croyons pas en France être à l’abri de telles dérives. Tout est déjà inscrit en filigrane dans nos textes de lois. Le Code du Sport prévoit déjà que les photographies prises lors d’une compétition appartiennent automatiquement aux fédérations sportives, ce qui ouvre la porte à une forme d’appropriation du réel. A l’issue de l’arrivée du Tour de France, des vidéos amateurs ont ainsi été retirées de YouTube à la demande de la société organisatrice du Tour, avec l’accord du CSA, qui dispose en vertu d’une autre loi du pouvoir de fixer les conditions de diffusion de ce type d’images. Et les compétences de cette autorité s’étendent aux manifestations sportives, mais plus largement “aux évènements de toute nature qui présentent un intérêt pour le public“

Réagissons avant qu’il ne soit trop tard et refusons ces monstruosités juridiques !

PS : une chose qui me fait rire quand même, c’est que visiblement le CIO rencontre quelques problèmes avec le logo des Jeux de Londres 2012, qu’un artiste l’accuse d’avoir plagié à partir d’une de ses œuvres…

Article initialement publié sur le blog :: S.I.Lex :: de Calimaq sous le titre “Comment la propriété intellectuelle a transformé les Jeux olympiques en cauchemar cyberpunk”

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La révolution graphique égyptienne http://owni.fr/2011/12/22/la-revolution-graphique-egyptienne/ http://owni.fr/2011/12/22/la-revolution-graphique-egyptienne/#comments Thu, 22 Dec 2011 16:57:21 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=89521 Après les élections, “on continue” (moustamirroun) disent, par le biais d’un efficace raccourci visuel, les militants du mouvement du 6 avril, un groupe créé en avril 2008 (cf. billet de l’époque), au cœur – sur la Toile et dans la rue – des luttes qui ont conduit à la chute de Moubarak. Le message passe sur les réseaux sociaux et leurs flux numériques bien entendu, mais aussi, à l’image de ce qui s’est produit depuis le début des luttes, sur les murs de la ville.

Source de nombreux reportages photographiques, la créativité de la révolution égyptienne – souvent marquée par cet humour national qui reste, aux yeux de bien des Arabes, une spécialité locale – a fait de la ville son théâtre, avec la place Tahrir pour scène centrale. Les militants ont pris possession de l’espace urbain, au sens propre du terme, en inscrivant leurs slogans et leurs images sur les murs des lieux publics. Fort à propos, la Casa Arabe de Madrid vient de monter une exposition sur ce thème : quelques images sont visibles sur leur site.

Il s’agit bien d’une lutte de terrain, avec des créateurs militants qui s’organisent en commandos, en général nocturnes, pour installer leur production dans des endroits retenus pour leur caractère stratégique : un lieu particulièrement passant bien entendu, mais également un endroit marquant les limites du territoire “sous contrôle” de l’insurrection. De leur côté, les forces “du maintien de l’ordre” comme on les appelle en français décident ou non de fermer les yeux, en fonction de la situation.

La première vague de mobilisation en janvier dernier a ainsi été marquée par une intervention graphique de Ganzeer en hommage à Islam Raafat, “reportage” photographique ici, une des premières victimes de la révolution. Tout récemment, les “événements de la rue Mohamed Mahmoud”, juste avant les élections, ont été précédés par l’arrestation de plusieurs “artistes”. Comme le Code civil égyptien n’a pas prévu ce type d’infraction, les fauteurs de trouble doivent être poursuivis sous différents prétextes, à l’image de Ganzeer, encore lui, arrêté pour avoir “dressé un drapeau portant atteinte à la sécurité publique” ! En règle générale, ils finissent par être rapidement relâchés, éventuellement sous caution…

Leur liberté, ils la doivent aussi à leur présence sur la Toile, en particulier dans les réseaux sociaux qu’ils savent mobiliser quand ils sont en danger. Graphistes, designers, artistes multimédias, les activistes de la révolution graphique égyptienne ont mis leur savoir-faire professionnel au service des luttes politiques. Naturellement, ils utilisent les techniques numériques pour médiatiser leur combat, mais également pour créer une bibliothèque virtuelle, largement collective, de ressources iconographiques qui sont ensuite reprises, ou non, par les manifestants à travers des formules visuelles reproduites sur les murs mais aussi sur les pancartes des manifestants, sur les T-shirts, etc.

Au centre du discours de mobilisation durant ce qu’on a appelé la « seconde  révolution » de Tahrir, tout récemment, on trouve ainsi un slogan, transmis par internet, Koun maa al-thawra (كن مع الثورة: “Sois avec la révolution”), une formule graphique et linguistique dont on comprend mieux la pertinence grâce à un très bon billet (publié par Mashallah News, en anglais) dans lequel son auteur, Mohamed Gaber donne une idée de l’imbrication complexe entre vocabulaire linguistique et éléments plastiques, tout en soulignant utilement la dimension historique de la mobilisation graphique en Égypte.

En effet, cette mobilisation ne date pas de la révolution égyptienne. Au contraire, elle a accompagné l’opposition politique qui s’est exprimée avec toujours plus de force depuis au moins 2008, peut-être même 2005 si l’on considère que c’est l’ouverture d’un espace virtuel d’expression et d’opposition, notamment avec les blogs de journalistes citoyens, qui a ouvert la voie aux changements de l’année 2011.

Il n’est pas sans intérêt non plus de savoir que le graffiti protestataire trouve son origine, au Caire, dans les milieux des ultras du football, ceux-là même dont l’expérience des combats de rue avec la police locale, a été décisive en certains moments d’affrontement, pour préserver l’occupation de Tahrir en janvier dernier, et tout récemment lors des affrontements de novembre. De même, la diffusion d’un manuel de lutte urbaine, accompagné d’illustrations efficaces, semble bien avoir joué également un rôle important. On notera d’ailleurs que son auteur a parfaitement conscience des limites du support informatique, et qu’il prend soin de rappeler aux utilisateurs potentiels de ne pas le diffuser via Facebook ou Twitter, surveillés par la police…

Comment transformer la révolte virtuelle – à la fois “potentielle” et “numérique” – en soulèvement populaire ? Les interventions graphiques qui ont accompagné la révolution égyptienne apportent leur réponse à cette question centrale pour les mouvements oppositionnels en donnant un exemple de la manière dont les virtualités des flux numériques peuvent prendre corps dans la réalité physique de l’espace urbain, sur le concrete (béton) des murs du Caire !


Article initialement publié sur le blog d’Yves Gonzalez-Quijano, Culture et politique arabes, sous le titre : Virtual and concrete : petite contribution à la création graphique de la révolution égyptienne”.

Photos et illustrations : Sauf la numéro 2, photos de graffiti par Hossam El Hamalawy via Flickr [cc-byncsa] sélectionnées par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Naissance d’un mythe de la bidouille http://owni.fr/2011/12/16/arduino-naissance-mythe-bidouille/ http://owni.fr/2011/12/16/arduino-naissance-mythe-bidouille/#comments Fri, 16 Dec 2011 18:01:18 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=90471 Arduino

L’histoire retiendra que c’est dans un bar d’une petite ville du nord de l’Italie qu’est né le projet Arduino qui, de manière totalement inattendue, est en train de révolutionner le domaine de l’électronique à l’échelle mondiale, puisque pour la première fois tout le monde peut vraiment s’y essayer et découvrir qu’il aime ça !

L’histoire retiendra également que rien de tout ceci n’aurait été possible sans le choix initial des licences libres qui a conditionné non seulement son bas prix et sa massive diffusion mais également son approche et son état d’esprit.

Acteur et non consommateur, on retrouve ici le goût de comprendre, créer et faire des choses ensemble. Concepts simple et plein de bon sens mais que notre époqu’Apple a fortement tendance à oublier.

PS : Ceci est la troisième traduction de suite initiée sur Twitter/Identica et réalisée dans un Framapad. Je remercie vivement tous les volontaires qui ont bossé dur hier soir pour arriver à un résultat d’un étonnante qualité quand on pense que les invitations sont ouvertes à tout le monde. On se donne rendez-vous, on communique, on se met d’accord sur tel ou tel passage via le chat intégré… au final on passe un moment ponctuel et commun agréable tout en travaillant (bénévolement). Je reste fasciné par le dynamisme et la bienveillance des gens et par la capacité d’Internet à favoriser cela. Si vous voulez vous aussi participer aux prochaines, il suffit de me suivre sur Twitter ou Identica avec le hashtag (que je viens d’inventer) « #EnFrSprint ».

La genèse d’Arduino

The making of Arduino

David Kushner – Octobre 2011 – Spectrum
(Traduction Framalang : Yoha, Keyln, Fab et Luc)

Ou comment cinq amis ont conçu la petite carte électronique qui a bouleversé le monde du DIY (Do It Yourself – Faites-le vous-même).

La pittoresque ville d’Ivrea, qui chevauche la rivière bleue-verte Dora Baltea au nord de l’Italie, est connue pour ses rois déchus. En l’an 1002, le roi Arduin (Arduino en italien) devint le seigneur du pays, pour être détrôné par Henri II d’Allemagne, deux ans plus tard. Aujourd’hui, le Bar di Re Arduino, un bar dans une rue pavée de la ville, honore sa mémoire, et c’est là qu’un nouveau roi inattendu naquit.

C’est en l’honneur de ce bar où Massimo Banzi a pour habitude d’étancher sa soif que fut nommé le projet électronique Arduino (dont il est le cofondateur). Arduino est une carte microcontrôleur à bas prix qui permet — même aux novices — de faire des choses époustouflantes. Vous pouvez connecter l’Arduino à toutes sortes de capteurs, lampes, moteurs, et autres appareils, et vous servir d’un logiciel facile à appréhender pour programmer le comportement de votre création. Vous pouvez construire un affichage interactif, ou un robot mobile, puis en partager les plans avec le monde entier en les postant sur Internet.

Sorti en 2005 comme un modeste outil pour les étudiants de Banzi à l’Interaction Design Institute Ivrea (IDII), Arduino a initié une révolution DIY dans l’électronique à l’échelle mondiale. Vous pouvez acheter une carte Arduino pour seulement 30 dollars ou vous construire la vôtre à partir de rien : tous les schémas électroniques et le code source sont disponibles gratuitement sous des licences libres. Le résultat en est qu’Arduino est devenu le projet le plus influent de son époque dans le monde du matériel libre.

Le couteau suisse rêvé devenu réalité

La petite carte est désormais devenu le couteau suisse de nombreux artistes, passionnés, étudiants, et tous ceux qui rêvaient d’un tel gadget. Plus de 250 000 cartes Arduino ont été vendues à travers le monde — sans compter celles construites à la maison. “Cela a permis aux gens de faire des choses qu’ils n’auraient pas pu faire autrement”, explique David A. Mellis, ancien étudiant à l’IDII et diplômé au MIT Media Lab, actuellement développeur en chef de la partie logicielle d’Arduino.

On trouve des alcootests, des cubes à DEL, des systèmes de domotique, des afficheurs Twitter et même des kits d’analyse ADN basés sur Arduino. Il y a des soirées Arduino et des clubs Arduino. Google a récemment publié un kit de développement basé sur Arduino pour ses smartphones Android. Comme le dit Dale Dougherty, l’éditeur et rédacteur du magazine Make, la bible des créateurs passionnés. Arduino est devenu “la partie intelligente dans les projets créatifs”.

Mais Arduino n’est pas qu’un projet open source ayant pour but de rendre la technologie plus accessible. C’est aussi une startup conduite par Banzi et un groupe d’amis, qui fait face à un challenge que même leur carte magique ne peut résoudre : comment survivre au succès et s’élargir. Banzi m’explique :

Nous devons passer à l’étape suivante, et devenir une entreprise établie.

arduino gps

Arduino a soulevé un autre défi formidable : comment apprendre aux étudiants à créer rapidement de l’électronique. En 2002, Banzi, un architecte logiciel barbu et avunculaire [NDT : qui ressemble à un oncle] y a été amené par l’IDII en tant que professeur associé pour promouvoir de nouvelles approches pour la conception interactive — un champ naissant parfois connu sous le nom d’informatique physique. Mais avec un budget se réduisant et un temps d’enseignement limité, ses options de choix d’outils étaient rares.

Comme beaucoup de ses collègues, Banzi se reposait sur le BASIC Stamp, un microcontrôleur créé et utilisé par l’entreprise californienne Parallax depuis près de 10 ans. Codé avec le langage BASIC, le Stamp était comme un tout petit circuit, embarquant l’essentiel : une alimentation, un microcontrôleur, de la mémoire et des ports d’entrée/sortie pour y connecter du matériel. Mais le BASIC Stamp avait deux problèmes auxquels Banzi se confronta : il n’avait pas assez de puissance de calcul pour certains des projets que ses étudiants avaient en tête, et il était aussi un peu trop cher — une carte avec les parties basiques pouvait coûter jusqu’à 100 dollars. Il avait aussi besoin de quelque chose qui puisse tourner sur Macintosh, omniprésents parmi les designers de l’IDII. Et s’ils concevaient eux-mêmes une carte qui répondrait à leurs besoins ?

Un collègue de Banzi au MIT avait développé un langage de programmation intuitif, du nom de Processing. Processing gagna rapidement en popularité, parce qu’il permettait aux programmeurs sans expérience de créer des infographies complexes et de toute beauté. Une des raisons de son succès était l’environnement de développement extrêmement facile à utiliser. Banzi se demanda s’il pourrait créer un logiciel similaire pour programmer un microcontrôleur, plutôt que des images sur l’écran.

Un étudiant du programme, Henando Barragán, fit les premiers pas dans cette direction. Il développa un prototype de plateforme, Wiring, qui comprenait un environnement de développement facile à appréhender et un circuit imprimé prêt-à-l’emploi. C’était un projet prometteur — encore en activité à ce jour — mais Banzi pensait déjà plus grand : il voulait faire une plate-forme encore plus simple, moins chère et plus facile à utiliser.

Banzi et ses collaborateurs croyaient fermement en l’open source. Puisque l’objectif était de mettre au point une plateforme rapide et facile d’accès, ils se sont dit qu’il vaudrait mieux ouvrir le projet au plus de personnes possibles plutôt que de le garder fermé. Un autre facteur qui a contribué à cette décision est que, après cinq ans de fonctionnement, l’IDII manquait de fonds et allait fermer ses portes. Les membres de la faculté craignaient que leurs projets n’y survivent pas ou soient détournés. Banzi se souvient :

Alors on s’est dit : oublions ça, rendons-le open source !

Le modèle de l’open source a longtemps été utilisé pour aider à l’innovation logicielle, mais pas matérielle. Pour que cela fonctionne, il leur fallait trouver une licence appropriée pour leur carte électronique. Après quelques recherches, ils se rendirent compte que s’ils regardaient leur projet sous un autre œil, ils pouvaient utiliser une licence Creative Commons, une organisation à but non-lucratif dont les contrats sont habituellement utilisés pour les travaux artistiques comme la musique et les écrits. Banzi argumente :

Vous pouvez penser le matériel comme un élément culturel que vous voulez partager avec d’autres personnes.

arduino schema

Aussi bon marché qu’un repas dans une pizzeria

Le groupe avait pour objectif de conception un prix particulier, accessible aux étudiants, de 30$. “Il fallait que ce soit équivalent à un repas dans une pizzeria” raconte Banzi. Ils voulaient aussi faire quelque chose de surprenant qui pourrait se démarquer et que les geeks chevronnés trouveraient cool. Puisque les autres circuits imprimés sont souvent verts, ils feraient le leur bleu ; puisque les constructeurs économisaient sur les broches d’entrée et de sortie, ils en ajouteraient plein à leur circuit. Comme touche finale, ils ajoutèrent une petite carte de l’Italie au dos de la carte. “Une grande partie des choix de conception paraîtraient étranges à un vrai ingénieur, se moque savamment Banzi, mais je ne suis pas un vrai ingénieur, donc je l’ai fait n’importe comment !”

Pour l’un des vrais ingénieurs de l’équipe, Gianluca Martino, la conception inhabituelle, entre chirurgie et boucherie, était une illumination. Martino la décrit comme une “nouvelle manière de penser l’électronique, non pas de façon professionnelle, où vous devez compter vos électrodes, mais dans une optique DIY.”

Le produit que l’équipe créa se constituait d’éléments bon marchés qui pourraient être trouvés facilement si les utilisateurs voulaient construire leurs propres cartes (par exemple, le microcontrôleur ATmega328). Cependant, une décision clé fut de s’assurer que ce soit, en grande partie, plug-and-play : ainsi quelqu’un pourrait la sortir de la boîte, la brancher, et l’utiliser immédiatement. Les cartes telles que la BASIC Stamp demandaient à ce que les adeptes de DIY achètent une dizaine d’autres éléments à ajouter au prix final. Mais pour la leur, l’utilisateur pourrait tout simplement connecter un câble USB de la carte à l’ordinateur — Mac, PC ou Linux — pour la programmer. Un autre membre de l’équipe, David Cuartielles, ingénieur en télécommunications, nous dit :

La philosophie derrière Arduino est que si vous voulez apprendre l’électronique, vous devriez être capable d’apprendre par la pratique dès le premier jour, au lieu de commencer par apprendre l’algèbre.

L’équipe testa bientôt cette philosophie. Ils remirent 300 circuits imprimés nus (sans composants) aux étudiants de l’IDII avec une consigne simple : regardez les instructions de montage en ligne, construisez votre propre carte et utilisez-la pour faire quelque chose. Un des premiers projets était un réveil fait maison suspendu au plafond par un câble. Chaque fois que vous poussiez le bouton snooze, le réveil montait plus haut d’un ton railleur jusqu’à ce que vous ne puissiez que vous lever.

D’autres personnes ont vite entendu parler de ces cartes. Et ils en voulaient une. Le premier acheteur fut un ami de Banzi, qui en commanda une. Le projet commençait à décoller mais il manquait un élément majeur : un nom. Une nuit, autour d’un verre au pub local, il vint à eux : Arduino, juste comme le bar — et le roi.

Rapidement, l’histoire d’Arduino se répandit sur la toile, sans marketing ni publicité. Elle attira très tôt l’attention de Tom Igoe, un professeur d’informatique physique au Programme de Télécommunications Interactives de l’Université de New York et aujourd’hui membre de l’équipe centrale d’Arduino. Igoe enseignait à des étudiants non techniciens en utilisant le BASIC Stamp mais fut impressionné par les fonctionnalités d’Arduino :

Ils partaient de l’hypothèse que vous ne connaissiez ni l’électronique, ni la programmation, que vous ne vouliez pas configurer une machine entière juste pour pouvoir programmer une puce — vous n’avez qu’à allumer la carte, appuyer sur upload et ça marche. J’étais aussi impressionné par l’objectif de fixer le prix à 30$, ce qui la rendait accessible. C’était l’un des facteurs clefs pour moi.

De ce point de vue, le succès de l’Arduino doit beaucoup à l’existence préalable de Processing et de Wiring. Ces projets donnèrent à Arduino une de ses forces essentielles : un environnement de programmation convivial. Avant Arduino, coder un microcontrôleur nécessitait une courbe d’apprentissage difficile. Avec Arduino, même ceux sans expérience électronique préalable avaient accès à un monde précédemment impénétrable. Les débutant peuvent à présent construire un prototype qui fonctionne vraiment sans passer par une longue phase d’apprentissage. Le mouvement est puissant, à une époque où la plupart des gadgets les plus populaires fonctionnent comme des “boîtes noires” fermées et protégées par brevet.

robot Arduino

La démocratisation de l’ingénierie

Pour Banzi, c’est peut-être l’impact le plus important d’Arduino : la démocratisation de l’ingénierie :

Il y a cinquante ans, pour faire un logiciel, il fallait du personnel en blouses blanches qui savait tout sur les tubes à vide. Maintenant, même ma mère peut programmer. Nous avons permis à beaucoup de gens de créer eux-mêmes des produits.

Tous les ingénieurs n’aiment pas Arduino. Les plus pointilleux se plaignent de ce que la carte abaisse le niveau créatif et inonde le marché des passionnés avec des produits médiocres. Cependant, Mellis ne voit pas du tout l’invention comme dévaluant le rôle de l’ingénieur :

Il s’agit de fournir une plateforme qui laisse une porte entrouverte aux artistes et aux concepteurs et leur permet de travailler plus facilement avec les ingénieurs en leur communiquant leurs avis et leurs besoins.

Et il ajoute :

Je ne pense pas que cela remplace l’ingénieur ; cela facilite juste la collaboration.

Pour accélérer l’adoption d’Arduino, l’équipe cherche à l’ancrer plus profondément dans le monde de l’éducation, depuis les écoles primaires jusqu’aux universités. Plusieurs d’entre elles, dont Carnegie Mellon et Stanford, utilisent déjà Arduino. Mellis a observé comment les étudiants et les profanes abordaient l’électronique lors d’une série d’ateliers au MIT Media Lab. Il a ainsi invité des groupes de 8 à 10 personnes à l’atelier où le projet à réaliser devait tenir dans une seule journée. Parmi les réalisations, on peut noter des enceintes pour iPod, des radios FM, et une souris d’ordinateur utilisant certains composants similaires à ceux d’Arduino.

Mais diffuser la bonne parole d’Arduino n’est qu’une partie du travail. L’équipe doit aussi répondre aux demandes pour les cartes. En fait, la plateforme Arduino ne se résume plus à un seul type de carte — il y a maintenant toute une famille de cartes. En plus du design originel, appelé Arduino Uno, on trouve parmi les nouveaux modèles une carte bien plus puissante appelée Arduino Mega, une carte compacte, l’Arduino Nano, une carte résistante à l’eau, la LilyPad Arduino, et une carte capable de se connecter au réseau, récemment sortie, l’Arduino Ethernet.

Arduino a aussi créé sa propre industrie artisanale pour l’électronique DIY. Il y a plus de 200 distributeurs de produits Arduino dans le monde, de grandes sociétés comme SparkFun Electronics à Boulder, Colorado mais aussi de plus petites structures répondant aux besoins locaux. Banzi a récemment entendu parler d’un homme au Portugal qui a quitté son travail dans une société de téléphonie pour vendre des produits Arduino depuis chez lui. Le membre de l’équipe Arduino Gianluca Martino, qui supervise la production et la distribution, nous confie qu’ils font des heures supplémentaires pour atteindre les marchés émergents comme la Chine, l’Inde et l’Amérique du Sud. Aujourd’hui, près de 80% du marché de l’Arduino est concentré entre les États-Unis et l’Europe.

Puisque l’équipe ne peut pas se permettre de stocker des centaines de milliers de cartes, ils en produisent entre 100 et 3000 par jour selon la demande dans une usine de fabrication près d’Ivrea. L’équipe a créé un système sur mesure pour tester les broches de chaque carte, comme la Uno, qui comprend 14 broches d’entrée/sortie numériques, 6 broches d’entrée analogiques et 6 autres pour l’alimentation. C’est une bonne assurance qualité quand vous gérez des milliers d’unités par jour. L’Arduino est suffisamment peu chère pour que l’équipe promette de remplacer toute carte qui ne fonctionnerait pas. Martino rapporte que le taux de matériel défectueux est de un pour cent.

L’équipe d’Arduino engrange suffisamment d’argent pour payer deux employés à plein temps et projette de faire connaître de façon plus large la puissance des circuits imprimés. En septembre, à la Maker Faire, un congrès à New York soutenu par le magazine Make, l’équipe a dévoilé sa première carte à processeur 32 bits — une puce ARM — à la place du processeur 8 bits précédent. Cela permettra de répondre à la demande de puissance des périphériques plus évolués. Par exemple, la MakerBot Thing-O-Matic, une imprimante 3D à monter soi-même basée sur Arduino, pourrait bénéficier d’un processeur plus rapide pour accomplir des tâches plus complexes.

Arduino a bénéficié d’un autre coup d’accélérateur cette année quand Google à mis à disposition une carte de développement pour Android basée sur Arduino. Le kit de développement d’accessoires (ADK) d’Android est une plateforme qui permet à un téléphone sous Android d’interagir avec des moteurs, capteurs et autres dispositifs. Vous pouvez concevoir une application Android qui utilise la caméra du téléphone, les capteurs de mouvements, l’écran tactile, et la connexion à Internet pour contrôler un écran ou un robot, par exemple. Les plus enthousiastes disent que cette nouvelle fonctionnalité élargit encore plus les possibilités de projets Arduino.

L’équipe évite cependant de rendre Arduino trop complexe. Selon Mellis :

Le défi est de trouver un moyen de faire en sorte que chacun puisse faire ce qu’il veut avec la plateforme sans la rendre trop complexe pour quelqu’un qui débuterait.

En attendant, ils profitent de leur gloire inattendue. Des fans viennent de loin simplement pour boire au bar d’Ivrea qui a donné son nom au phénomène. ” Les gens vont au bar et disent ‘Nous sommes ici pour l’Arduino !’”, narre Banzi. “Il y a juste un problème“, ajoute-t-il dans un éclat de rire, “les employés du bar ne savent pas ce qu’est Arduino !”

Billet initialement publié sur Framablog sous le titre “Le making-of d’Arduino”

Crédits photos CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commerciale Anthony Mattox, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification sean_carney, PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales atduskgreg et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales atduskgreg

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Une manne de données encore à libérer http://owni.fr/2011/12/14/donnees-liberation-opendata-etalab/ http://owni.fr/2011/12/14/donnees-liberation-opendata-etalab/#comments Wed, 14 Dec 2011 07:36:33 +0000 Axel Bizel-Bizellot http://owni.fr/?p=90442

Sylvain Parasie est sociologue, maître de conférence à l’Université Paris-Est / Marne-la-Vallée et chercheur au laboratoire techniques, territoires et société (LATTS) de l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Ses recherches portent sur “la publicité, le journalisme en ligne, les activités en ligne, et plus largement les implications sociales et politiques associées à l’usage des nouvelles technologies dans le monde des médias et de la communication”. Répondant aux questions de journalismes.info, il analyse les difficultés françaises quant à l’ouverture des données publiques.

Peut-on vraiment parler d’innovation à propos d’Etalab ?

Premièrement, il convient de rappeler que l’ouverture des données publiques n’est pas quelque chose de vraiment neuf, c’est un processus qui s’est développé aux États-Unis et en Angleterre depuis pas mal de temps, dans les grandes villes notamment. A ce titre, Washington et Londres peuvent être considérées comme des références, parce qu’elles sont en avance mais aussi parce qu’elles mettent énormément de données à disposition de tous. En France, il est clair que l’on a un retard à combler à ce niveau là.

Comment expliquer ce retard ?

Ce qui a posé le plus de problèmes, c’est la question des droits sur les données publiques. Quels usages en faire ? Doit-on permettre une récupération par les entreprises privées ? Ces questions ont longtemps fait débat, notamment dans le cadre de la licence. Certains souhaitaient que l’on puisse en faire une réutilisation commerciale, d’autres étaient plus réticents à l’idée qu’elles puissent être sources de profits. En même temps, il était compliqué d’en faire des services, de développer des applications sans intermédiaires privés et donc sans utilisation commerciale. Ce qui a été finalement tranché, c’est grossièrement que les organismes publics doivent s’assurer de la qualité de ces données, et laisser ensuite les intermédiaires les réutiliser, même si les débats perdurent.

On a vu récemment plusieurs initiatives de ce genre se développer dans des villes françaises, comme Rennes ou Paris, qui ont commencé à mettre en ligne des catalogues de données. Mais quel est vraiment le contenu de ces catalogues ?

Pour l’instant, il est très pauvre. On a accès à des informations sur la liste des jardins, des kiosques… Il n’y a pas vraiment de cohérence. Rien à voir avec ce qui se fait à Chicago par exemple. Là-bas, les bases de données sont vraiment impressionnantes. On a par exemple accès aux noms et aux salaires de tous les employés des entreprises de transport public, et ces données ne sont même pas anonymisées ! Il y avait d’ailleurs eu un petit scandale récemment, puisque un “1″ avait été rajouté malencontreusement devant un chiffre… La personne concernée a dû vivre un véritable cauchemar pendant quelques jours ! On trouve aussi tout ce qui concerne l’inspection alimentaire, les permis de construire, les stations de polices ou de pompiers, les crimes quartier par quartier…Rien à voir donc.

Comment expliquer un tel fossé ?

Pour être honnête, il convient de rappeler que le pouvoir des villes en France et aux États-Unis n’est pas du tout le même. La mairie de Paris ne dispose pas forcément d’autant de données que celle de Chicago. Pour les transports par exemple, la RATP n’est pas directement reliée à la mairie, contrairement à celle de Chicago. Deuxièmement, il faut aussi dire que Chicago a été une ville laboratoire de l’ouverture des données publiques. La ville a commencé à diffuser massivement, bien avant l’arrivée du web, dès les années 1960 à propos des données criminelles. En France, ces données sont toutes centralisées par le ministère de l’Intérieur ; on a accès aux statistiques département par département mais pas à l’échelle du quartier. À Chicago, on peut savoir précisément quel crime a été commis et où depuis les années 1990. Comme le taux de criminalité était particulièrement élevé, le maire avait mis en place une police de proximité. Chaque policier était responsable d’un bloc de la ville et devait tenir des réunions publiques régulières pour informer les habitants des quartiers. La diffusion par le web s’est faite dès 1996. L’administration n’a donc pas du tout le même rapport aux données, il n’y a pas de centralisation comme en France ; là bas, ces données sont des outils pour la police municipale. La comparaison est donc un peu difficile. Les mairies ont en France plus de mal à avoir ces données ; il y a un réel problème d’accessibilité. Mais au-delà, on peut se demander s’il n’y a pas une différence de rapport au citadin. Publier les données nominatives avec les salaires des fonctionnaires serait par exemple absolument inouï ici.

Et par rapport au contenu de la future plate-forme data.gouv.fr ? Le fait que l’État ait la mainmise sur la publication des données publiques ne peut-il pas représenter un risque ?

Pour l’instant, au niveau du contenu on ne sait pas vraiment… Mais vous avez raison de soulever le problème, il s’agit d’une volonté politique, qui peut être remise en question dans la mesure où il existe des réticences au sein du pouvoir. Après il convient de ne pas oublier que l’on ne part pas de rien non plus, que l’Insee existe depuis 1946 et propose des données de très bonne qualité. Il est possible effectivement que certaines données soient sujettes à caution, notamment sur les postes supprimés dans l’enseignement, ou concernant les élections : ces données sont diffusées par le ministère de l’Intérieur, mais juste à un moment, et il faut souvent se tourner vers les travaux des chercheurs pour les obtenir après. Alors oui, je pense globalement que l’État fait preuve de bonnes volontés avec Etalab, mais il reste en France beaucoup d’efforts à faire à propos de la transparence. Et je suis également persuadé qu’il faut continuer l’activité de lobbying pour l’ouverture des données publiques, comme le font remarquablement Regards Citoyens auprès du Sénat ou de l’Assemblée Nationale par exemple.

Au final, peut-on vraiment parler d’une avancée pour le citoyen ?

Oui, mais se pose le problème de l’accessibilité. Et pour rendre ces données brutes accessibles, il faut des intermédiaires. C’est là qu’intervient le journaliste. L’activité de lobbying des militants de l’Open Data a besoin derrière de personnes pour rendre les données obtenues accessibles à tous. Et c’est sûrement là que se trouve le principal problème en France.
Encore une fois, si l’on compare aux États-Unis, on tient compte de l’utilisation de bases de données dans le journalisme depuis beaucoup plus longtemps. Dès les années 1960, on trouvait là bas ce que l’on appelait les CAR (computer associated reporter). On peut situer l’origine au moment des émeutes de Détroit, en 1967. On a commencé à utiliser les premiers ordinateurs pour faire des questionnaires automatisés. Les gens dans la rue étaient principalement des noirs, et personne ne comprenait vraiment leurs revendications. Grâce à ce travail, on a pu montrer que contrairement aux idées reçues, la majorité des émeutiers étaient des gens qui avaient un assez bon niveau d’étude. Ensuite, cela s’est développé vraiment à partir de la fin des années 1980, où beaucoup de journalistes étaient aussi un peu statisticiens, et traitaient de sujets comme l’éducation, la démographie ou la criminalité, basés quand même essentiellement sur des chiffres.

En France, la culture est encore une fois très différente, le journalisme est beaucoup plus littéraire, engagé. Il est vraiment nécessaire de trouver des personnes ayant l’habitude de manipuler des bases de données, capables d’en faire des applications. Et pour l’instant, à part OWNI, on ne trouve pas grand monde… Il existe des initiatives comme nosdeputes.fr, mais ce sont des initiatives purement citoyennes ; elles n’émanent pas directement de la presse comme aux États-Unis. Même en Angleterre, on trouve beaucoup de journalistes qui s’intéressent par exemple aux comptes-rendus du Parlement et se spécialisent dans l’administration et l’État ; et ce même avant l’arrivée de l’informatique. Ce genre de travaux est peu développé en France, peut être que la défiance vis-à-vis du pouvoir est plus forte là -bas, que les citoyens sont plus demandeurs de transparence. Avec les quantités de données disponibles, il faut avoir la bonne idée journalistique à la base pour pouvoir en extraire une information ; il faut une interprétation objective des données, un peu comme le font les chercheurs en sciences sociales. On voit par exemple se développer des partenariats, des passerelles entre le journalisme et les sciences sociales aux États-Unis, mais pas en France pour l’instant.

Justement, en parlant de transparence, quels types de barrières pourraient demeurer ?

Obtenir la diffusion de certaines données peut rester compliqué, les administrations doivent aussi y trouver leur compte. Un des arguments du lobbying Open Data, c’est la transparence bien sûr, mais aussi la rationalisation, que l’administration soit plus efficace, qu’il faut améliorer le rapport entre l’État et le citoyen. La situation financière des médias en France peut aussi constituer une sorte de barrière. Je ne pense pas qu’il y ait de volonté de censure. Le problème pour obtenir une réelle situation de transparence est à mon sens à chercher du côté des intermédiaires. L’État bouge, doucement, mais bouge malgré tout, et c’est du côté des journalistes qu’on peut observer au final le plus de retard. Et enfin, il ne faut pas oublier le rôle de l’internaute non plus. On peut expliquer le succès d’un site comme Everyblock dans le sens où il est devenu de plus en plus communautaire. Les citoyens l’utilisent par eux-mêmes; ils ont su en dépasser le côté austère. Au final, le processus d’ouverture des données publiques est clairement un jeu à 3, entre l’État, le journaliste et l’internaute lui-même. Les principales difficultés de la France sont donc à mon sens à chercher à la fois du côté d’une administration trop centralisée, d’un journalisme trop littéraire et d’un manque d’intérêt de la part de l’internaute pour l’instant.


Publié initialement sur Journalismes.info sous le titre L’ouverture des données publiques est un jeu à 3 entre l’Etat, le journaliste et l’internaute
Photos par Ecstaticist [cc-byncsa] ; Daniel*1977 [cc-byncsa] ; Victor Bezrukov [cc-by]

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Anonymous, du lulz à l’action collective http://owni.fr/2011/12/12/anonymous-lulz-laction-collective-wikileaks-hackers/ http://owni.fr/2011/12/12/anonymous-lulz-laction-collective-wikileaks-hackers/#comments Mon, 12 Dec 2011 10:27:04 +0000 Gabriella Coleman http://owni.fr/?p=77422 Dans cet article, initialement paru en anglais et que nous rééditons, l’anthropologue Gabriella Coleman synthétise ses découvertes et ses analyses sur le mouvement des Anonymous. Chercheuse en sciences humaines à l’Université de New York, elle est actuellement l’une des plus fines observatrices des activistes d’Occupy Wall Street.

Pris dans son ensemble, le concept d’Anonymous désigne une réalité vaste et complexe ; ce nom prend actuellement tout son sens dans un monde dans lequel son rôle est de coordonner une série d’initiatives décousues, lesquelles vont du trolling aux revendications politiques. Au départ, cette appellation était utilisée en vue de coordonner les facéties de cybernautes sur ce grand terrain de jeu qu’est le web, mais au cours de l’hiver 2008, certains Anonymous se sont politisés, et ont tout particulièrement dénoncé les dérives de l’Église de Scientologie.

En septembre 2010, ils inauguraient une nouvelle campagne politique baptisée Operation Payback, en vue de dévoiler les pratiques de la Motion Picture Association of America (MPAA), et quelques mois plus tard, ce sont les mêmes qui prêtaient main forte à WikiLeaks, affaire qui a retenu l’attention de millions de personnes de par le monde. Cette action a fait l’objet d’une vaste couverture médiatique portant sur la spectaculaire vague d’attaques par déni de service (DDoS) lancées par de nombreux Anonymous (contre Paypal et Mastercard, pour manifester leur soutien à WikiLeaks). En dépit de leur notoriété, et malgré le fait qu’ils aient coordonné un mouvement de protestation face à l’Église de Scientologie deux ans plus tôt, les commentateurs tentent désespérément de décrire l’éthique, la sociologie et l’histoire du mouvement des Anonymous à grand renfort de catégories analytiques traditionnelles.

Partant de là, la difficulté découle du fait que le concept d’Anonymous est délibérément nimbé d’un certain mystère. Les Anonymous disent ne pas avoir de leader, aucune structure hiérarchique, et encore moins d’épicentre géographique. Même si plusieurs formes d’organisations et de logiques culturelles sous–tendent indéniablement une grande variété de moyens d’expression, n’importe quel individu ou groupe peut se revendiquer du mouvement des Anonymous.

Hackers

À ce titre, selon la définition de Marco Deseriis, Anonymous tient lieu de nom impropre : « L’adoption du même alias par des collectifs organisés, des groupes d’affinités, et des blogueurs. » Ainsi, les personnes ayant coordonné les attaques DDoS ne sont pas nécessairement à l’origine des manifestes Anonymous, ou des sites ou blogs lancés sous ce nom ; les actions de protestations menées en faveur de Wikileaks n’ont, pour la plupart, pas été initiées par les Anons qui ont dénoncé les pratiques de l’Église de Scientologie, mais cela n’est pas souvent mentionné par les médias.

Chez les Anonymous, les hackers sont un cercle de personnes plutôt restreint : ils sont des programmeurs de génie, des chercheurs en sécurité, ou encore administrateurs système. Le moteur de bon nombre d’entre eux – mais pas tous – est une variation dans le thème de la quête pour la liberté d’information. Les non hackers forment selon moi un groupe beaucoup plus large – je prendrai donc la liberté de les qualifier de « geeks ». Ces derniers maîtrisent un certain nombre de médias numériques ; outils d’édition vidéo, graphisme, outils dédiés à l’écriture collaborative, et suffisamment de connaissances techniques pour se connecter aux IRC (« discussion relayée par internet »). Et les autres ? Ni geeks ni hackers, ils contribuent à leur manière à la constante réinvention de ce domaine numérique, dans lequel ils s’imprègnent de codes culturels et découvrent de nouvelles technologies numériques. S’ils ne deviennent pas des geeks, ils se seront néanmoins familiarisés avec leur univers.

Dans cet article, j’aborderai succinctement l’histoire de la naissance d’Anonymous au travers de plusieurs opérations politiques menées sous cet étendard, puis je décrirai dans les grandes lignes la logique de leur organisation et de leur éthique. Cet essai ne devrait en aucun cas être considéré comme étant exhaustif ; cependant, il vous permettra de balayer quelques idées reçues sur l’orientation politique des Anonymous, et de comprendre pourquoi en trois ans, quelques Anons ont choisi d’abandonner certaines pratiques désarticulées, non reliées, et ancrées dans la culture du trolling, pour créer une forme d’action collective et rhizomatique (ou techno–nomade), catalysée et alimentée par des opérations menées à l’échelle mondiale, ainsi que par des interventions politiques.

Genèse politique

Le mouvement Anonymous est né sur 4chan, un site de partage d’images anonyme extrêmement populaire. Le trolling est le principal phénomène auquel nous pouvons rattacher leurs débuts et leur évolution. Sur 4chan, le trolling consiste bien souvent en un mélange aléatoire de ce qui suit : blagues téléphoniques, livraison de pizzas ciblées, DDoS, et surtout la mise en ligne d’informations confidentielles, de préférence humiliantes. « Anonymous » a mené beaucoup de campagnes de trolling de ce genre depuis au moins 2006, voire même avant. Le leitmotiv des instigateurs du trolling – et la conséquence affective recherchée –, y compris sur 4chan, c’est le lulz, pluriel altéré de laugh out loud (lol). Le lulz, c’est le plaisir que procure le trolling, toutefois, ça ne se limite pas qu’à cela. De manière plus générale, il est possible d’atteindre le lulz en faisant des blagues potaches, en postant des images ou en jouant des tours.

En 2008, les Anonymous ont décidé – du jour au lendemain – de déchaîner la colère qu’ils nourrissaient tous envers l’Église de Scientologie, en menant une vague d’opérations de trolling devenues légendaires. L’Église tentait d’empêcher la propagation virale d’une vidéo (destinée à être visionnée dans le cadre de l’Église) avec pertes et fracas. Dans cette vidéo, Tom Cruise tient un discours apologétique, chantant avec exubérance les louanges de la théologie et des pratiques scientologues.

L’Église a menacé certains éditeurs en ligne comme Gawker d’intenter une action en justice (en invoquant la violation de la DMCA (Digital Millenium Copyright Act) s’ils ne retiraient pas la vidéo. Anonymous a riposté en menant une série de « raids », pour reprendre leurs propos, contre l’Église entre le 15 et le 27 janvier 2008. L’un des participants a qualifié ces actions de « foutage de gueule ultra–coordonné ». En suivant la logique qui sous–tendait déjà leurs précédents exploits, les Anonymous ont avant tout trollé l’Église de Scientologie – envers laquelle les geeks vouent une haine jubilatoire – pour le lulz.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Peu de temps après cette première vague de trolling, les Anonymous se sont orientés vers une forme de politique plus conventionnelle. Qu’est–ce qui les a poussés à prendre cette voie ? Fin janvier 2008, en l’espace d’une semaine, plusieurs vidéos – le principal moteur de leur démarche – ont été réalisées et mises en ligne, soulevant au passage une controverse parmi les instigateurs des attaques lancées, qui n’arrivaient pas à s’accorder sur le but et sur le sens de ce raid. Pourtant, cet épisode institue la première et désormais célèbre guerre déclarée contre l’Église de Scientologie. Mais cette vidéo ne constituait pas une déclaration tout à fait sincère, elle a juste été réalisée pour le lulz.

Cinq jours plus tard, une autre vidéo était mise en ligne. Mark Bunker, un détracteur de longue date de l’Église de Scientologie, y envoyait un message aux Anonymous masqués, leur demandant d’oublier leurs manières de trolls, de se montrer plus sérieux, et surtout de déployer des stratégies légales en vue de lutter contre ce que lui et ses amis politiciens considèrent comme une secte. Les Anonymous ont rapidement réagi et se sont montrés plus sincères, en appelant à mettre en place des actions politiques. Les vidéos maison qui suivent constituent le catalyseur d’une période durant laquelle des débats enflammés ont eu lieu sur certains IRC, l’une des questions les plus récurrentes du moment étant :

Est–ce le moment de se déconnecter et de manifester publiquement notre colère face à l’Église ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Plusieurs Anonymous ont alors décidé de coordonner une journée d’action mondiale – ce qui a abouti à un nombre conséquent de manifestations extrêmement bien organisées et largement suivies. Le 10 février 2008, plus de six mille personnes sont descendues dans la rue, de l’Amérique du Nord à l’Europe en passant par la Nouvelle–Zélande et l’Australie – bon nombre d’entre elles ont manifesté aux portes de l’Église de Scientologie de leur ville. À l’époque, un grand nombre de manifestants manquaient de ce que l’on peut communément associer aux manifestations de rue : une finalité et une conscience politique.

Mais durant cette période, il régnait une ambiance quasi carnavalesque dans les rues de New York ; tout le monde y tournait en ridicule l’Église de Scientologie, parlait dans un jargon imprégné de lol cats, long cats, lulz et autres mudkips. Ces actions resteront marquantes car l’affluence y était forte et l’audace esthétique présente, grâce à la mise en scène de l’anonymat – une majorité de manifestants était descendue dans la rue le visage caché par le masque de Guy Fawkes, qui fait maintenant partie intégrante de l’iconographie Anonymous.

Quelques jours après cette journée d’action globale, une scission s’est produite parmi les Anonymous. Un grand nombre de participants ont rejoint le vaisseau–mère Internet, tandis que ceux qui sont restés ont organisé des manifestations plus conventionnelles pour dénoncer les abus commis à l’encontre des membres de l’Église, tout en faisant preuve d’une sensibilité politique plus marquée (mais en portant néanmoins le masque de Guy Fawkes pour certains). Un Anonymous irlandais m’expliquait alors au mois d’août :

Je suis venu pour le lulz et je suis resté car j’étais indigné.

C’était un ressenti partagé par bien d’autres, mais le le lulz était toujours au rendez–vous ; les manifestants jonglaient comme ils le pouvaient entre tradition et lulz, en mettant en scène des performances farfelues, grotesques, humoristiques ou offensives – et indissociables du lulz.

De l’hiver 2008 jusqu’au milieu de l’automne 2010, plusieurs Anonymous politiquement modérés ont passé une bonne partie de leur temps à vilipender les dérives de l’Église de Scientologie. En septembre 2010, Operation Payback, une nouvelle opération politique était inaugurée depuis 4chan. Les serveurs du site Pirate Bay venait d’essuyer une attaque par déni de service lancée par un fabricant de logiciels indien entré dans la piraterie le temps d’une mission pour le compte de la MPAA (Motion Picture Association of America). Dans le but de manifester leur soutien aux fondateurs du site d’échange de fichier torrents, les Anons ont pris pour cible le site de la MPAA (ainsi que d’autres), l’attaquant à grand renfort de DDoS.

À l’instar des opérations précédentes, celle–ci fut organisée sur 4chan, avant de faire l’objet d’une migration vers un canal IRC ; en effet, il est difficile de coordonner une opération sur un site de partage d’images anonyme. Bien que certains aient participé à Operation Payback et aux manifestations contre l’Église de Scientologie, d’un point de vue sociologique, l’opération ciblant la MPAA se distingue d’Operation Chanology. Les deux opérations ont été coordonnées sur des canaux IRC distincts et initiées par des groupes relativement différents.

En décembre 2010, peu de temps après que la publication de câbles diplomatiques – regorgeant de perles – par WikiLeaks, les internautes impliqués dans Operation Payback ont décidé de s’engager dans un projet regroupant un ensemble d’impressionnantes actions d’envergure qui restent sans égal à ce jour. Les Anonymous n’ont pas fait cela dans le seul but d’exprimer leur soutien à Wikileaks ; ils sont passés à l’action pour dénoncer ce que PayPal, Mastercard et Amazon venaient de faire, à savoir couper l’accès à leurs services et supprimer les comptes de l’organisation Wikileaks, qui ne faisait pourtant face à aucune charge pénale.

Les retombées de cette opération furent exceptionnelles : les sites Internet de quelques–unes des corporations les plus puissantes au monde ont été désactivés plusieurs jours durant. Ainsi, de toute l’histoire des Internet Relay Chat, jamais encore les canaux n’avaient été pris d’assaut par des hordes de lurkers et de geeks désireux de prêter main forte – un jour, plus de sept mille personnes se sont retrouvées sur le canal principal au même moment.

Les interactions des très nombreux participants étaient d’apparence chaotique, pourtant, ils ont tout de même réussi à manier les DDoS de manière très réfléchie, et avec le plus grand soin. Les cibles ont ainsi été choisies au travers de sondages, les participants ont rédigé des textes visant à indiquer quels sites devaient être attaqués ou non, et ils ne manquaient pas de se le rappeler sans cesse sur l’IRC.

Les participants ne se sont pas tous impliqués dans ce mouvement de contestation numérique, certains ont créé et mis en ligne des dizaines d’images et de vidéos. Durant cette période, ceux qui s’étaient élevés contre l’Église de Scientologie ont continué sur cette voie, mais certains d’entre eux ont aussi choisi de participer à Operation Payback. Beaucoup de personnes sont juste restées sur l’IRC pour voir ce qui allait se passer, tandis qu’un certain nombre de geeks et de hackers ont déclaré estimer que d’un point de vue éthique, les attaques DDoS constituaient une tactique de protestation et de contestation

À la fin du mois de décembre, peu de temps après la fin des attaques par déni de service, les Anonymous sont intervenus en Tunisie, choix jugé inattendu à l’époque. Ils ont tant et si bien travaillé que les médias d’Amérique du Nord et d’Europe ont commencé à parler de leur rôle – parfois avec justesse et force détails – dans le mouvement de contestation envers le gouvernement tunisien, lequel se préparait à riposter sur le terrain et venait de bloquer le site WikiLeaks.

Le 2 janvier 2011, les Anonymous ont inauguré « OpTunisia » et ont continué d’apporter leur soutien à mesure que les manifestations se propageaient dans tout le pays. Comme le veut la tradition, ils ont lancé une attaque par déni de service contre le site du gouvernement et contre certains sites web touristiques, mais ils ont également mis en ligne des vidéos montrant la violence qui régnait dans les rues de Tunisie et créé des tutoriels pour les cyberactivistes et manifestants, afin de les aider à contourner la surveillance du gouvernement. Dans leur « trousse de secours », certains Anonymous ont choisi d’indiquer que leur compétence dans le domaine du cyberactivisme avait ses limites en déclarant ceci :

Ceci est *votre* révolution, elle ne ne se fera pas sur Twitter ou sur les IRC (sic), elle ne sera pas diffusée à la télévision Vous *devez* prendre les rues d’assaut, ou vous *perdrez* (sic) cette bataille. Restez constamment sur vos gardes, une fois emprisonné (sic), vous ne pourrez plus rien pour vous ni pour votre peuple. Votre gouvernement *est en train* de vous surveiller. »

OpTunisia représente donc un nouveau tournant dans la naissance politique du mouvement contestataire « Anonymous ».Alors que la plupart des opérations précédentes étaient liées à la censure des Internets et aux politiques s’y rapportant, cette opération convergeait avec un mouvement social existant, s’inscrivant par conséquent dans la tradition de l’activisme pour les droits humains.

Depuis cette période, les Anonymous n’ont eu de cesse de mettre en place diverses actions ; le mouvement de contestation tunisien s’étant propagé jusqu’en Égypte, ils ont par la suite porté leur attention sur ce pays. Ils ont entre autres lancé des opérations en Syrie et en Nouvelle–Zélande, mais aussi en Italie, au moment où Silvio Berlusconi s’est vu accusé d’avoir eu un rapport sexuel avec une prostituée mineure, ainsi que dans l’État du Wisconsin, pour dénoncer une loi visant à restreindre les droits de négociation collective des syndicats des services publics. Et au début du mois d’avril, Les Anonymous ont lancé une féroce attaque contre le site de la multinationale Sony, qui venait d’attaquer en justice George Hotz, un jeune gamer–hacker qui avait contourné la protection numérique de sa PlayStation.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

2011 vue par les Anonymous, feat. Gabriella Coleman à 2′34.

Les notions d’autorité et de pouvoir chez les Anonymous

Le portrait exhaustif des Anonymous ayant été dressé, nous pouvons maintenant nous poser les questions suivantes : qui sont–ils ? Qu’est–ce qui les connecte ? À quel moment et de quelle manière font–ils preuve d’autorité, est–ce une décision prise en groupe ou s’agit–il d’actes isolés ?

Techniquement, le concept d’Anonymous est ouvert à tous sans aucune barrière de quelque nature que ce soit. Cependant, certaines connaissances, compétences et sympathies sont requises de manière tacite ou explicite, c’est pourquoi seule une catégorie bien spécifique d’internautes fait la démarche de s’engager dans ce mouvement politique. À la différence de beaucoup d’autres organisations, y compris Wikileaks, il est facile d’apporter sa pierre à l’édifice des Anonymous, entre autres en participant à l’une des nombreuses micro–contestations mises en place en deux temps trois mouvements sur les IRC.

Afin de saisir la dynamique d’influence en œuvre parmi les Anonymous, il est impératif de parler de l’architecture technique au sein de laquelle ils passent beaucoup de temps à discuter et à coordonner leurs actions : l’IRC, pour Internet Relay Chat (en français, « discussion relayée par internet »). Et il convient de souligner qu’il existe à l’heure actuelle deux canaux IRC distincts grâce auxquels les participants peuvent mettre en place différentes actions : Anonet et Anonops. Contrairement à ce qu’un certain nombre de médias ont rapporté, ils sont ouverts au public, mais une bonne partie dudit public ne sait absolument pas comment accéder à un IRC, et encore moins comment l’utiliser, bien que ce ne soit pas difficile d’un point de vue technique.

À l’intérieur de chaque réseau IRC se cachent un nombre important de canaux, mais de manière générale, seule une douzaine d’entre eux sont bondés à certains moments. Certains canaux sont dédiés à des sujets d’ordre social ou au badinage humoristique, le lulz étant toujours une valeur d’actualité pour bon nombre d’entre eux. Comme l’a expliqué un internaute, le lulz est un exutoire qui rend le travail lié à l’activisme politique – en soi difficile et parfois déprimant – plus supportable. Sur d’autres canaux, des problèmes techniques spécifiques sont abordés, et il existe sans aucun doute beaucoup de canaux sur lesquels des opérations politiques sont coordonnées. Certains participants jouent un rôle clé sur bon nombre de canaux, tandis que d’autres ne sont impliqués que dans un ou deux IRC à la fois.

Sur les IRC, les personnes à même d’intervenir sur une infrastructure – les opérateurs des IRC – détiennent plus d’autorité que les autres (il y a des « ops » sur tous les canaux IRC, pas seulement chez les Anonymous, et sont donc chargés de maintenir l’ordre. En tant que tel, ils sont en mesure de renvoyer ou de bannir des personnes indésirables sur le canal pour différentes raisons, y compris la violation des normes culturelles ou du règlement en vigueur sur le canal, selon lequel – dans le cas de Anonops – il est interdit de se connecter et se déconnecter en permanence, de prendre pour cible les médias ou de faire l’apologie de la violence. Il n’est pas nécessaire d’être très compétent sur le plan technique pour être opérateur, c’est pourquoi des dizaines d’ops œuvrent sur chaque canal IRC.

Bien que leur opinion aient davantage de poids durant les nombreux débats qui ont lieu sur les IRC, ils ne déterminent pas les plans d’actions ou les opérations menées par les Anonymous. Certains ne sont là que pour intervenir sur l’infrastructure, tandis que d’autres participent à la plupart des opérations politiques.

L’autorité et la discipline sont également présentes sous forme de principes, de sensibilités éthiques et de normes – qui sont en constante évolution selon l’actualité. Les internautes impliqués dans les deux canaux se concentrent sur les problèmes inhérents à la censure, la liberté de diffuser des informations, et comme leur nom l’indique clairement, ils tendent à s’inscrire corps et âme dans un principe libéral séculaire selon lequel l’expression anonyme est nécessaire à toute société démocratique saine.

Dans le cas d’Anonops, la politique actuelle consiste à s’abstenir d’attaquer les organes de presse, même dans les États–nations dans lesquels les médias sont jugés être à la solde du régime au pouvoir, comme en Iran. Cette clause n’étant pas du goût de tous, elle a été enfreinte à plusieurs reprises par certains participants, provoquant moult débats discordants – une situation classique commune à tous les mouvements de contestation politique.

En définitive, pour comprendre les mécanismes du pouvoir et de l’autorité chez les Anonymous, il faudra se confronter à un précepte – des plus répandus parmi les cyberactivistes – fort intéressant et dynamisant d’un point de vue social, à savoir le code éthique (qui nuance, à défaut d’éliminer, la concentration du pouvoir) selon lequel le leadership ou la célébrité ne sont en aucun cas une fin en soi. Les Anonymous offrent donc ce que Mike Wesch définit en tant que « critique virulente du culte post–moderne de la célébrité, de l’individualisme et du concept d’identité, et de laquelle découle néanmoins des retombées contradictoires ».

Il est important de noter que les participants ne se contentent pas de philosopher sur leur engagement, ils le vivent. Les participants se rappellent très souvent les uns aux autres qu’il serait regrettable d’adopter un comportement de leader ou de chercher à attirer l’attention des médias, en qualifiant ces pratiques « d’usurpation d’identité » ou « d’abus de pouvoir ». Quiconque se livre à ce genre de débordement se voit remettre à sa place sur la place publique ou au cours d’une discussion privée, et quiconque attire trop l’attention se voit bannir de l’IRC d’un simple clic.

J’ai récemment été témoin d’une situation de ce genre, car un Anon – qui ne s’était constitué aucun capital social en restant en retrait lors des attaques DDoS – avait un peu trop parlé de lui à un journaliste. Une personne qui venait de lire l’article en question a su résumer l’ambiance qui régnait parmi les Anonymous en une phrase :

Chercher à utiliser un travail fait par d’autres pour s’en attribuer les mérites est une chose intolérable.

La sentence est rapidement tombée, il a été banni de l’IRC.

Le fait que les Anonymous se soient dotés d’une éthique signifie–t–il que le pouvoir n’est jamais canalisé, qu’il existe certaines formes d’autorité ? Où les Anonymous sont–ils LE mensonge incarné ? Ni l’un ni l’autre. Évidemment, dans le cas de certaines actions comme le piratage ciblé, seul un petit cercle de hackers de génie pourront tirer leur épingle du jeu ; il n’est donc guère surprenant de constater que ce type d’opération reste entouré de secret. Cela ne signifie pas que seuls quelques hackers tiennent les rênes du mouvement, comme l’explique l’auteur de cet article de Gawker ; toutefois, le fait d’être à même de hacker – ce qui constitue une source de puissance incontestable –, et la capacité à mener toutes les opérations « Anonymous » peut susciter de la confusion.

Comme indiqué précédemment, les personnes les plus actives sur le réseau, celles qui ont travaillé d’arrache–pied, détiennent plus d’autorité que les autres – mais ce ne sont pas nécessairement eux qui mènent la danse. Une analyse de la dialectique en œuvre entre la création et la dispersion d’un pouvoir centralisé – également présente dans d’autres actions collaboratives menées par des geeks ou des hackers – permettrait de mieux comprendre cette dynamique d’influence. Ces deux tendances entretiennent une relation compliquée, mais ceci est en partie contrebalancé par le fait que les Anons se rappellent constamment les uns aux autres qu’il faut s’abstenir de se comporter en leader, ce qui les pousse à s’efforcer de parvenir à un consensus – leur processus décisionnel préféré.

Conclusion : l’entrée en politique

Étudier le mouvement Anonymous constitue un challenge, car comme l’explique fort bien cet article, leurs caractéristiques se superposent, formant un tout complexe. Toutefois, les Anonymous sont–ils – comme le suggère la fin de l’article – un « gang de cyber–lyncheurs qui s’organisent en ligne sous l’étendard du mème « Anonymous », au sein duquel une poignée d’internautes proposent des Ops; les personnes sur la même longueur d’onde participeront à ces opérations, tandis que les autres continueront de poster des lolcats sur 4chan » ?

Si l’on prend le temps d’étudier les différentes ailes politiques existantes chez les Anons, il apparaît clairement qu’ils sont suffisamment cohérents, qu’ils ont une histoire et une substance éthique, ce qui d’une certaine manière les éloignent des diverses facettes de la culture propre à 4chan, ou encore de cette discipline qu’est le trolling. Même si le lulz reste inhérent à chaque aile politique existante chez les Anonymous, et si le trolling reste une pratique courante et revendiquée, il est tout simplement impossible de réduire le mouvement Anonymous à ce que l’on pourrait qualifier de cyber–lynchage, et de se contenter de les assimiler aux différentes formes de politique dépeintes dans cet essai.

Même si j’ai cherché à placer les Anonymous dans un contexte particulier, en me basant sur le milieu culturel dont ils sont issus (4chan, trolling et lulz), j’ai tout d’abord ciblé leurs différentes expressions politiques. Les canaux IRC permettent d’identifier les diverses factions politiques dont se réclament les Anonymous, ainsi que les participants qui donnent davantage de leur temps que les autres, et les messages qu’ils envoient au travers de vidéos, de manifestes et de communiqués, ou encore les normes selon lesquelles ils s’organisent, passent à l’action et évoluent. Je me suis contentée d’effleurer la question des mécanismes inhérents aux normes en vigueur dans le domaine de l’autorité, de l’éthique et du comportement, ainsi que des tactiques politiques qui naissent et sont employées par certains clusters d’Anonymous. Mais il reste encore beaucoup à apprendre, comprendre et dire à leur propos.

S’il y a une chose à noter à propos des Anonymous, c’est que depuis l’hiver 2008, ce mouvement est devenu une porte d’entrée en politique pour les geeks ( et consorts) qui souhaitaient passer à l’action. Entre autres opportunités, le mouvement Anonymous offre la possibilité – inédite – de mettre en place des micro–manifestations en toute discrétion, permettant à certains individus d’évoluer au sein du mouvement et de participer à des opérations d’envergure. Nul besoin de remplir le moindre formulaire, de donner son identité ou ses deniers pour avoir le sentiment de faire partie d’un vaste groupe. Il s’agit donc de prendre la décision d’entrer en politique d’une manière ou d’une autre, en établissant un moyen d’action concret à adopter, un ensemble d’événements ou d’influences – et le mouvement Anonymous offre cette possibilité.


Illustrations et photos via Flickr, Anonymous9000 [cc-by] ; Operation Paper Storm [cc-by]

Traduction Élodie Chatelais (WeTransl8) , version originale en anglais.

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Drôles de prisons http://owni.fr/2011/12/08/snatch-prisons-alternatives/ http://owni.fr/2011/12/08/snatch-prisons-alternatives/#comments Thu, 08 Dec 2011 08:21:22 +0000 Thomas De Ambrogi http://owni.fr/?p=89697 Cet article paraîtra samedi 10 décembre dans le numéro 10 du bimestriel Snatch dont OWNI est partenaire. Dans un dossier de 60 pages, le magazine s’est penché sur les prisons : rencontre avec Patrick Dils, enquête sur la perpétuité et les tatouages en milieu carcéral… OWNI et WeDoData ont réalisé une enquête graphique sur la France carcérale et l’état du prisonnier français : les infographies sont à découvrir dans Snatch et les cartes interactives sur OWNI /-).


Avis aux ennuyés des cellules et autres limeurs de barreaux, voilà une liste non exhaustive des prisons qui ont le mérite d’être particulières, au-delà de nos frontières. Histoire de voir un peu ce qui se fait ailleurs.

Le luxe en Océanie et Asie

Comme à l’hôtel à Jakarta, Indonésie [1]

Au placard, tout est négociable. Surtout en Indonésie, où des traitements très spéciaux sont appliqués aux détenus qui ont les moyens de se les offrir. C’est comme ça que Artalyta Suriyani, une influente femme d’affaire du pays purge aujourd’hui ses cinq années de prison – elle a été condamnée dans une affaire de corruption – dans une grande pièce avec table basse, canapé pour chiller et écran plat. Elle dispose même d’une salle de bain et d’un coin cuisine. Et le room service ?

Private Taule à Somang, Yeoju, Corée du Sud [2]

C’est la première prison privée du pays. Fruit d’un partenariat entre l’État et une fondation protestante, cette prison se singularise en dispensant un enseignement et une étude complète des valeurs chrétiennes aux détenus. Derrière les barreaux, ça catéchise sévère. Le but de cette affaire est de spiritualiser et apaiser les cœurs des prisonniers pour diminuer le risque de récidive. Miracle, ce dernier n’excède pas les 6% à la sortie. Curiosité, on notera que parmi les communiants, on ne trouve ni dealers, ni gangsters. Pas de repentir pour ces derniers ?

Jailhouse Rocks à Cebu, Philippines [3]

Pendant que les détenus des prisons « normales » soulèvent de la fonte, tapent des dunks ou se plantent au cutter, leurs homologues de la prison de Cebu apprennent à danser. Une idée de la réinsertion pour le moins originale : danser tous ensemble sur de la pop music. Célèbres pour leur vidéo de danse sur Thriller en hommage à Michael Jackson, les mille cinq cents agités de Cebu font des représentations publiques à des fins humanitaires, avec photos et dédicaces de tee-shirts pour les spectateurs. Et en sortant, embarquement chez Kamel Ouali ?

Au Cap, la réhabilitation par l’élevage d’oiseaux

Oiseaux en cage à Pollsmoor, Le Cap, Afrique du Sud [4]

Au bout du bout du monde, la prison de Pollsmoor applique un programme de réhabilitation de haut vol. En acceptant de renoncer aux gangs et aux clopes, des promotions de douze détenus à la conduite irréprochable peuvent s’initier à l’élevage des oiseaux et ainsi découvrir une nouvelle grille de lecture du monde. Le concept a pour but d’adoucir les mœurs des prisonniers : en prenant soin des oiseaux, ils apprennent à prendre soin d’eux. Coucou les tout doux. Privilège ultime des apprentis ornithologues : des chambres individuelles de 6m². Cinq étoiles.

L’Europe et ses prisons atypiques

Détenus en Transe à Pozzale, Empoli, Italie [5]

La vie entre les barreaux, Johnny Cash aurait pu confirmer, ce n’est pas la joie. Et le problème s’aggrave lorsque l’on est en faible minorité parmi les méchants prisonniers. À chaque problème sa solution. Quand la prison pour toxicomanes de Pozzale affiche un nombre de détenus presque nul, autant remplir les cellules avec les prisonniers transsexuels d’Italie. Normal. L’endroit est maintenant exclusivement réservé à ces derniers, améliorant ainsi les conditions carcérales d’une communauté trop opprimée.

Prison de retraite à Singen, Allemagne [6]

Au centre d’un quartier résidentiel du sud de l’Allemagne se dressent deux étages enceintés d’un mur haut de cinq mètres. Pas de barbelés et peu de précautions de sécurité. Il s’agit ici d’une prison pour seniors. La vie carcérale y est largement améliorée : les cellules restent ouvertes, l’hygiène est au top et le travail facultatif. Un tel endroit est une chance pour ces détenus qui, dans une banale prison, « seraient réduits à cirer les pompes des autres » comme le souligne Thomas Maus le directeur de l’établissement. Pas malheureux les petits vieux.

Chambre Double à Sark, Guernesey, Royaume Uni [7]

La plus petite prison du monde. Située sur l’île anglo-normande de Guernesey, la prison de Sark érigée en 1856 offre de la place pour tout juste deux personnes. Sark ressemble d’ailleurs plus à une guérite en briques rouges, démunie de fenêtre, qu’à une véritable prison. Devenu un spot touristique, l’endroit fait office de lieu d’appoint, une nuit de détention pour les fouteurs de troubles et basta. Et pour ceux qui osent récidiver après une nuit dans ce cagibi, c’est le transfert illico vers une prison digne de ce nom.

Les extrêmes de l’Amérique

Prison City à San Pedro, La Paz, Bolivie [8]

A l’intérieur de cette prison autogérée, on trouve un hôtel, des églises, des magasins, mais pas un seul maton. Véritable ville dans la ville, San Pedro abrite mille six cents détenus qui ont le droit de vivre avec leurs familles. Comme dans toute micro-société, les détenus doivent trouver un gagne-pain. Les plus riches peuvent se payer une cellule de luxe sur plusieurs étages, là où les plus pauvres s’entassent à vingt par chambre. Dans ce haut lieu touristique (d’où l’hôtel), un labo produisant soit disant « la meilleure cocaïne du monde » a récemment été démantelé.

Barbus au mitard à Wallens Ridge, Virginie, Etats-Unis [9]

Cette prison impose des règles drastiques aux détenus chevelus ou barbus. Le rasage est obligatoire à l’arrivée des prisonniers, question d’hygiène et de sécurité : « Ils pourraient cacher des armes dans leur barbes » raconte-t-on à Wallens Ridge. Les têtus refusant de suivre ce programme sont isolés au mitard, privés de tout. Une injustice criante, évidemment, pour les indomptables croyants – rasta, islam ou le culte viril du poil – dont la foi tolère assez mal qu’ils se coupent la barbe.

Gangs en stock à Pelican Bay, Californie, Etats-Unis [10]

Quand on nous dit Pelican Bay, on imagine des palmiers et des verres glacés de Pinacolada. Wrong ! Pelican Bay est juste la prison la plus dangereuse des États-Unis. Avec mille cinq cents gardiens pour trois mille deux cents détenus, l’endroit est une jungle où les blessés sont quotidiens et les morts hebdomadaires. Pas étonnant dans une prison où les détenus sont tous affiliés à un gang. Quant aux nouveaux, plus faibles, ils doivent vite se résoudre à se faire recruter, vu l’absence de choix à disposition. Prison mentale derrière les barbelés, la loi du « blood-in blood-out » oblige même les détenus à rester membre de leurs gangs après leur sortie. Pas glop.

Service pénitentiaire à Edmonton Canada [11]

Inaugurée en 1949 et destinée à réhabiliter les soldats canadiens dans l’exercice des leurs fonctions, la caserne de détention des forces canadiennes (CDFC) est l’unique prison militaire du pays. Le régime y est drastique : exercices et entraînements militaires tous les jours. Pour éviter les conflits, les détenus ont interdiction de se parler, de fumer, de lire ou d’appeler leurs proches. La vie est dure pour les bidasses, mais « quand ils retournent dans leur base, ce sont de meilleures personnes et de meilleurs soldats. » explique le Major Taylor, actuel responsable des lieux. On n’en doute pas chef.


Article publié dans le magazine Snatch qui consacre un dossier aux prisons dans son numéro 10, dans les kiosques à partir de samedi 10 décembre.

Retrouvez notre Une sur les prisons :

Photographie de Une © Aimée Thirion

Illustrations de Majan Dutertre © pour Snatch.

OWNI avait consacré un dossier sur les alternatives à la prison en novembre 2010.

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L’histoire a surgi sans crier gare au détour d’un blog publié le 8 novembre 2011 sur la plateforme de micro-blogging Tumblr. Intitulé « The real story – histoire d’un licenciement abusif », le site émane de l’ancien directeur de BNP Paribas Securities Services (BP2S), Jacques-Philippe Marson. A ses yeux injustement licencié pour faute grave en 2010, qu’il juge injustifié, il entend désormais porter son conflit avec la banque sur la place publique comme l’a révélé OWNI le 25 novembre.

Le fait pourrait sembler anecdotique et relever uniquement d’un conflit privé qui tourne au vinaigre entre un employeur intraitable et un ex-salarié évincé brutalement. Or, la controverse, abstraction faite du fonds de l’affaire pour laquelle je n’ai pas les compétences de juger, est loin d’incarner un évanescent épiphénomène. Avec la vigueur incontestée des réseaux sociaux et leur ancrage croissant dans le quotidien des gens, les entreprises vont très probablement se retrouver de plus en plus confrontées à d’acrimonieux salariés partageant depuis l’interne ou l’externe, leurs coups de gueule et leurs déboires professionnels. Avec des impacts réputationnels non négligeables à la clé. Petit tour d’horizon en quelques illustrations non-exhaustives et tentative d’analyse.

Coup de canif dans l’omerta bancaire

La démarche de Jacques-Philippe Marson a de quoi surprendre tellement la discrétion des lambris capitonnés de la banque s’applique en toutes circonstances, y compris lorsque les conflits les plus violents s’y produisent. Pourtant, des lézardes s’y étaient déjà faites jour avec la récente affaire Kerviel/Société Générale. Soutenu par des communicants rôdés, le trader jugé fautif n’avait pas hésité un instant à répandre publiquement tous les errements et contradictions des salles de marché. L’ancien directeur de la communication lui-même, Hugues Le Bret, s’était fendu par la suite d’un livre confession où il narrait par le menu et depuis les coulisses, le déroulement d’un des plus gros scandales bancaires. A cet effet, il y peignait sans concession des portraits veules et peu amènes de quelques acteurs ayant été mêlés au dossier.

Cette fois, la démarche du directeur déchu de BP2S est solitaire mais n’en est pas moins rentre-dedans. Sur la forme tout d’abord, tout est mis en œuvre pour s’assurer un écho maximal. Le site est publié sur Tumblr, la plateforme de blogging qui vient de détrôner la référence Wordpress et qui surtout connaît un succès foudroyant auprès des influenceurs numériques (dont les journalistes) toujours soucieux d’avoir une innovation d’avance. Ensuite, le contenu est systématiquement traduit en anglais, histoire sans doute d’élargir l’impact potentiel auprès de médias traditionnels et sociaux anglo-saxons souvent friands de petites histoires.

Le ton est également extrêmement offensif et fulminant comme en témoigne cet extrait :

Après une longue période de silence (j’en expliquerai les raisons) et face à l’injustice bien organisée que je subis, j’ai décidé de me défendre et de m’exprimer publiquement par la voie de ce blog. Tout ce qui sera publié sera factuel et appuyé par des preuves écrites et par des témoignages. Je décrirai les événements tels que je les ai vécus, étape par étape, sous forme d’un résumé et d’une narration détaillée (…) Dans ce dossier, tout porte à croire que la décision de me licencier a été prise le premier jour de l’inspection. A partir de cette date, le groupe a déployé des moyens considérables, internes et externes, pour tenter de démontrer le bienfondé de sa décision … en vain.

On ne peut guère faire plus clair en termes de pressions menaçantes. Toutefois, la récolte a été bien maigre en articles puisqu’en plus d’OWNI, seul le site L’Expansion/L’Express s’est fait écho du dossier jusqu’à aujourd’hui.

La schizophrénie digitale des entreprises

Même si dans ce cas précis, la banque incriminée a feint de ne prêter qu’une attention mesurée aux attaques de son ancien cadre – elle a tout de même bloqué l’accès du blog en interne -, les entreprises ont malgré tout conscience que la donne réputationnelle est en train d’être sérieusement bouleversée avec l’entrelacs des réseaux sociaux où les frontières entre vie privée et vie professionnelle ont tendance à s’estomper. Une étude menée par le fabricant de logiciels de sécurité Symantec souligne que 94% des entreprises reconnaissent des incidents liés aux médias sociaux et ayant des répercussions concrètes sur l’image de l’entreprise, ses activités et ses relations avec les clients.

Cependant, reconnaître n’implique pas forcément admettre ou comprendre. Face à ce qu’elles estiment constituer un péril pour la réputation de leur enseigne, les entreprises oscillent souvent entre l’établissement de chartes internes pour tenter de réguler de potentielles dérives et l’inflexibilité radicale en bloquant les accès aux réseaux sociaux depuis les postes externes. Selon une étude du Kaspersky Lab en septembre 2011, 64% des sociétés françaises ont recours à de telles extrémités à l’heure où le Web 2.0 bat son plein et où ces mêmes sociétés déclament vouloir investir celui-ci … pour leurs marques !

De fait, les réseaux sociaux sont encore perçus en majorité sous l’angle de la marque employeur. On ouvre souvent une page Facebook, un fil Twitter ou un blog à l’effigie de l’entreprise avec des objectifs essentiellement liés à des problématiques RH de recrutement. C’est certes un canal extrêmement important puisqu’en 2011, une étude MBAonline montre que 36 millions de postes ont été pourvus via les réseaux sociaux aux Etats-Unis. Il n’en demeure pas moins que se cantonner uniquement à cet aspect revient à ne considérer qu’une des deux faces d’une pièce !

Le silence est d’or mais la parole est digitale !

N’en déplaisent aux dirigeants, vouloir ériger des murs digitaux autour de leurs employés procèdent plutôt du fantasme inatteignable que d’une démarche constructive. Il ne s’agit évidemment pas de sombrer inversement dans le laxisme le plus total et laisser les collaborateurs s’épancher sans retenue. Mais pour autant, il est vain de s’adonner à l’ultra-contrôle.

Ainsi, en septembre dernier, un employé de Microsoft, Joe Marini, n’a pas pu s’empêcher de tweeter fièrement à plusieurs reprises ses impressions personnelles sur le futur premier mobile fruit de l’union de Nokia et de la firme de Redmond, le Lumia 800. Impressions tellement précises qui eurent le don d’agacer son employeur d’autant qu’il n’en était pas à sa première incartade. L’homme fut congédié mais ce dernier n’a guère tardé à retrouver un poste chez … Google dans le domaine du développement et de la téléphonie. Autant dire qu’il aura tout loisir de mettre à profit son savoir autrement que par Twitter !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ceci dit, Google s’est retrouvé face à un cas similaire un mois plus tard. Steve Yegge, ingénieur logiciels impliqué dans le développement du nouveau réseau social Google +, a rendu publique par erreur une note interne assassine où il qualifie le projet d’« exemple parfait de notre échec complet à comprendre les plateformes ». Plus loin, il continue son carnage verbal en comparant Google + et Facebook :

Google+ est une réaction réflexe, un cas d’école de pensée court-termiste, fondé sur la notion fausse que Facebook a du succès car ils ont bâti un super produit. Mais ce n’est pas ça, la raison de leur succès. Facebook a du succès car ils ont construit une constellation entière de produits en autorisant les autres à faire le boulot. Ce qui fait que Facebook est différent pour chacun

. Une boulette qui est tombée d’autant plus mal que Google + marque de plus en plus le pas auprès des internautes ! A ce jour, Steve Yegge est toujours en poste mais nul doute qu’il doit être très probablement dans ses petits souliers, Google n’ayant guère pour habitude de badiner avec les secrets éventés par les Googlers !

Dura lex sed lex ? Pas si sûr !

Les salariés s’emparant du Web pour régler des comptes ou se défouler d’un mal-être subi dans l’entreprise ne sont certes pas inédits en soi. Chacun se remémore sûrement de la passe d’armes digitale et judiciaire qui a opposé en 2006, le constructeur automobile Nissan et une salarié qui avait conté sur son blog sa mise au placard puis son licenciement. L’impétrante fut condamnée pour diffamation mais non obligée par les juges de fermer le blog.

Bien que le droit du travail exige des notions de loyauté, de confidentialité et de discrétion d’un employé vis-à-vis de son entreprise, l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme préserve la liberté d’expression du salarié – citoyen. Le même code du Travail français renchérit avec l’article L.146-1 :

(si) les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail et que les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

Extension du domaine de la lutte

Et de ce droit, nombreux sont ceux à s’en priver de moins en moins pour dénoncer des choses qui constituent à leurs yeux des dérives ou des injustices patentées. A cet égard, on peut citer le blog de Mourad Ghazli. Salarié de la RATP et ex-syndicaliste, il a osé contredire la direction de l’entreprise aux prises avec une affaire poisseuse de harcèlement sexuel impliquant un autre syndicaliste en échange d’avancement professionnel pour les personnes qui acceptaient. Pour Mourad Ghazli, la direction connaissait les agissements du personnage. Aussi pour étayer ses dires, n’a-t-il pas hésité à publier sur son blog une vidéo et des photos troublantes où figurent des hauts dirigeants de la RATP avec le dit personnage. Actuellement, il affronte une plainte pour diffamation et une procédure de révocation disciplinaire.

Dans des registres proches, on peut aussi parler de la chronique que tient un ingénieur anonyme sur Rue89 sous le pseudo « Bientôt licencié ». Ayant su par SMS fin septembre 2011 que sa société high tech allait être liquidée, il a décidé de narrer le quotidien des employés jusqu’à l’inéluctable conclusion. Tout y passe, des réunions de CE où la direction est pitoyable aux collègues qui craquent et qui boivent.

Dans un autre genre mais tout aussi caustique, on trouve « Le Blog du Super Consultant »(10). Créé en 2010 et animé par une poignée de salariés rebelles et également anonymes, le site étrille « joyeusement » le management de la célèbre agence de communication Publicis Consultants et se paie même la tête de certains clients jugés désagréables, voire insupportables. Dernier exemple en date : quand Maurice Lévy, le PDG annonce qu’il renonce à son salaire fixe, la nouvelle fait grand bruit dans la presse. Aussitôt, le blog s’empresse de remettre le « sacrifice » salarial du grand patron dans son contexte. Et là, la lecture est effectivement édifiante et quelque peu éloignée du plan com’ patronal !

Vers la guerre de tranchées numériques ?

Qu’elles le veuillent ou non, les entreprises pourront de moins en moins empêcher les prises de parole à la sauce 2.0, notamment avec l’émergence programmée de la génération Y qui va grimper en responsabilités dans les organigrammes. Or, cette génération ne cultive pas vraiment le même rapport que ses aînés avec le monde de l’entreprise. Elle est même plus aisément encline à stigmatiser les incohérences des discours et les faire savoir si besoin. Si l’on ajoute de surcroît, une certaine déliquescence du lien social dans de nombreuses entreprises (exacerbé avec la crise actuelle), il ne serait guère étonnant de voir essaimer encore plus d’expressions de salariés sur les réseaux sociaux.

Tous bien sûr ne pratiquent pas le jeu de massacre à l’égard de leur société mais en y regardant de plus près, beaucoup se confient plus ou moins. Il suffit pour cela d’aller faire un tour par exemple sur le site notetonentreprise.com. Sans forcément toujours aboutir à des démarches volontaristes comme l’ex-directeur de BP2S, ils lâchent cependant des infos. Certaines sont bonnes et valorisantes pour l’image de l’entreprise. D’autres au contraire vont à rebours des discours et des stratégies de communication soigneusement ciselés par les staffs communicants.

Or, le risque de grand écart réputationnel n’est plus écarter à mesure que la parole se répand sur les réseaux sociaux. Consultant et expert en management 2.0 et réseaux sociaux, Bertrand Duperrin trace avec acuité le défi que salariés et entreprises doivent relever si l’on veut éviter une sorte de « Verdun numérique » sur la Toile :

« Quoi qu’il en soit ce ne sont pas des sujets à traiter de manière unilatérale : réputation, qualité, performance économique actuelle et durable se construisent ensemble, avec les mêmes ressorts. Si toutes les parties prenantes ne s’y attèlent pas ensemble il n’y aura pas de gagnant d’un coté et de perdant de l’autre mais uniquement des perdants. Salariés ou entreprises. Qu’on se le dise ».


Article initialement publié sur leblogducommunicant2-0 sous le titre “Réputation 2.0 : quand les salariés se mettent à taper sur leur entreprise

Illustrations par via Flickr Patrick Gage [cc-bync] ; fpra [cc-bync].

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